La guerre de la Russie contre l’Ukraine pose un défi à l’ordre international et remet en cause à la fois institutions et pratiques. Il convient de s’y pencher à nouveau pour réfléchir à une future architecture de sécurité pour l’Europe, même s’il est aujourd’hui impossible de savoir quel sera l’état du rapport de force.
La fin de la société internationale ? La guerre de Russie et le défi à l’ordre international
The End of International Society? The Russian War and Challenge to International Order
Russia’s war against Ukraine is challenging international order and calling into question institutions and practices alike. There is a need to take a new look at it in our consideration of the future European security architecture, even though we cannot yet know what the force balance might be.
D’après une conférence donnée à La Sorbonne, Paris, le 6 mars 2023, à l’invitation de la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains.
Problématiser le récit « réaliste » de la guerre
La guerre russe contre l’Ukraine constitue une grave violation du droit international et sape l’ordre international en Europe comme nous ne l’avons pas vu depuis des décennies. Alors que l’après-guerre froide a vu l’éclatement de la Yougoslavie et les interventions militaires russes en Géorgie (2008) et en Moldavie (1992), entre autres, l’ampleur de l’invasion en Ukraine et le fait que, contrairement aux guerres yougoslaves, la Russie a attaqué un État qu’elle avait elle-même reconnu en décembre 1991, ont conduit de nombreuses personnes à considérer la guerre en Ukraine comme un tournant de l’histoire. En outre, alors que la Russie occupait la Crimée et certaines parties du Donbass depuis la guerre de 2014, l’ampleur de son invasion de 2022 a violé la souveraineté ukrainienne d’une manière encore plus scandaleuse.
Les commentateurs, tant universitaires que politiques, ont formulé leurs analyses de la guerre en des termes largement conformes à la théorie dite réaliste des relations internationales (Walt 2022, Harr 2022). Cela s’applique à la fois aux explications de l’attaque et aux conséquences politiques possibles. Nombreux sont ceux qui ont suivi l’argument du réaliste offensif John Mearsheimer (2014, 2022) selon lequel l’Otan, et plus particulièrement l’expansion américaine en Europe de l’Est, a violé l’équilibre des pouvoirs en Europe et menacé la Russie, qui a donc réagi par la guerre pour se défendre contre un Occident toujours plus envahissant. En retour, les États-membres de l’Otan ont commencé à renforcer leurs défenses militaires. Même l’Allemagne, qui a longtemps hésité à investir dans l’armement et à respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de l’Otan de 2006 (consacrer au moins 2 % du PIB à sa défense), a changé de cap et a affecté au moins 100 milliards d’euros aux dépenses militaires dans une réserve spéciale financée par des crédits. Entre-temps, la Finlande et la Suède, des États qui s’enorgueillissaient de leur neutralité, ont officiellement demandé à adhérer à l’Otan.
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