L’essor des régimes illibéraux est une réalité, même si le concept reste incertain en termes de définition. Cependant, l’illibéralisme se répand, remettant en cause les conceptions classiques de la démocratie. Et ces régimes n’ont pas d’état d’âme à conclure des alliances et à afficher leurs ambitions.
Les régimes illibéraux dans un jeu mondialisé
Illiberal Regimes in a Globalised Game
The number of illiberal regimes is increasing, albeit defining illiberal precisely is not easy. Nevertheless, illiberalism is expanding and calls into question conventional perceptions of democracy. Moreover, the regimes concerned do not think twice about concluding alliances and stating their ambitions clearly.
Dans la quête désespérée d’un nouvel ordre mondial, la question des régimes politiques est vite venue alimenter le débat jusqu’à s’imposer comme variable explicative. Si on suit la vision la plus classique, le problème pourtant ne se pose pas : les gladiateurs étaient ces souverains dépourvus d’étiquette institutionnelle ; à mesure que s’épanouissait la théorie réaliste, la coloration du régime était totalement couverte par le voile de la puissance : seule celle-ci comptait.
Il fallut attendre les effets idéologiques de la guerre froide pour que la référence à la démocratie soit explicitement introduite, à l’instar de ce que fit l’historien français Raymond Aron dans Paix et Guerre entre les nations (1962), lorsqu’il intégra dans son analyse l’hétérogénéité des régimes qui se faisaient concurrence de chaque côté du Mur. L’idée était sociologique, car nul ne peut contester la pertinence de sa prise en compte empirique dans un tel contexte, mais elle était aussi éthique : la guerre n’était plus seulement une froide opposition d’utilités, mais un affrontement qui se voulait aussi celui du bien et du mal, de la démocratie et de la dictature.
Un concept incertain
La chute du mur de Berlin n’a fait qu’amplifier la réflexion : la victoire remportée par l’Occident dans le dénouement de la guerre froide a immédiatement pris un tour moral, voire philosophique, et a enclenché les thèses célèbres sur une supposée « fin de l’histoire », chère au chercheur en sciences politiques américain Francis Fukuyama, annonçant en même temps le triomphe du capitalisme et celui de la démocratie dans sa version libérale (Fukuyama, 1992). On a pu penser alors que les régimes autoritaires n’étaient qu’un reliquat de l’histoire, appelé à disparaître sous le double effet de l’extinction des idéologies et du triomphe des modèles développementalistes. L’autoritarisme n’était plus que l’opposé vaincu du libéralisme et gagnait ainsi peu à peu son attribut négatif « d’illibéral » qui, dans son appellation, suggérait son incapacité de définir un contre-modèle. Cependant, à mesure que l’optimisme de Fukuyama se défaisait, il fallait revenir à des constats plus lucides, intégrant dans l’analyse ces régimes coercitifs qui duraient, voire se renforçaient, tout en adoptant les règles du capitalisme ; il fallait prendre en compte ces régimes post-soviétiques qui ne parvenaient pas à se défaire de certaines composantes coercitives passées. Ces derniers ont ainsi inspiré au journaliste en relations internationales Fareed Zakaria ce néologisme, en gestation depuis quelques années (Zakaria, 1998). La thèse se voulait un hymne à la liberté et au droit qui doivent précéder la démocratie formelle. L’illibéralisme est donc d’abord tenu pour un déni, celui de la distinction entre État et société civile, celui des libertés publiques et celui de l’ordre constitutionnel.
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