Mastering the Art of Command—Admiral Chester W. Nimitz and Victory in the Pacific
Mastering the Art of Command—Admiral Chester W. Nimitz and Victory in the Pacific
« Le leadership de Nimitz n’était pas une pure position d’autorité, mais une dynamique interactive et émergente qui créait en permanence de nouvelles possibilités ». Voilà résumé, en une phrase, ce dont il est question dans ce nouvel ouvrage de Trent Hone, publié quelques années après son remarquable Learning War (2019) (1). Mastering the Art of Command est bien plus qu’une fresque des événements du Pacifique entre 1941 et 1945 : c’est une relecture passionnante de toute la dynamique des opérations alliées face aux Japonais par le prisme du leadership de Chester W. Nimitz (1885-1966), dont Hone décortique pour nous les rouages.
Quels sont donc les piliers du « système Nimitz », qui permit aux États-Unis de basculer, en quelques années, de la catastrophe de Pearl Harbor à la fracturation du système défensif japonais ? En s’appuyant sur la théorie des organisations et du « leadership complexe » dont il est un expert, Hone en distingue plusieurs. D’abord, la personnalité de Nimitz, pur produit de l’US Navy de l’entre-deux-guerres (1919-1939) et pétri de trois grands principes alors largement partagés : l’agressivité dans l’affrontement, la prise d’initiative dans l’action et la décentralisation du commandement dans l’exécution. Ces trois traits, parfaitement intériorisés chez Nimitz, jalonnent son parcours décisionnel de commandant en chef dans le Pacifique, dont il assume la charge sur les cendres de Pearl Harbor fin 1941. Ensuite, la mise en place, au sein de son état-major, d’un système favorisant la résolution créative des difficultés, en créant les conditions de la confrontation des points de vue dans un contexte de « sûreté psychologique » (c’est-à-dire le sentiment que l’on peut partager ses idées sans risque) et en assurant une circulation rapide de l’information opérationnelle au fil de son émergence. Enfin, et surtout, une grande adaptabilité des structures de commandement (opérationnelles et organiques) dans le Pacifique, dont Hone montre à quel point cet aspect conditionne l’aptitude des Américains et de leurs alliés à saisir les opportunités dès qu’elles se présentaient, en infligeant ainsi un tempo infernal aux Japonais à partir de 1943, sur mer et depuis la mer.
Conjugués à la machine de guerre industrielle américaine, ces trois volets forment le principe actif de la victoire alliée dans le Pacifique. Pourquoi ? D’une part, car ils permettent à l’état-major de Nimitz (qui ne dépassa jamais la centaine de personnes) de comprendre les événements, de leur donner du sens et d’y distinguer les leviers de supériorité à saisir, tant au niveau tactique qu’au niveau stratégique (Hone montre d’ailleurs très bien comment Nimitz arrive à saisir la résonance entre ces deux niveaux tout au long de la guerre, en y articulant intelligemment le niveau opératif alors émergent). D’autre part, car ils permettent d’incorporer très rapidement les leçons du conflit, engendrant des ajustements permanents pour adapter les organisations aux défis à relever. Enfin, l’approche volontairement décentralisée dans l’exécution, outre qu’elle est bien adaptée au caractère très dynamique du combat naval, permet aux commandants en sous-ordre de Nimitz de traiter l’information « à la source » pour en tirer tout le bénéfice sans perdre de temps.
Sous la plume de Trent Hone, ce sont donc quatre années d’enfer qui reprennent vie, avec un éclairage nouveau. Par une approche chronologique, on y découvre le génie de celui qui a su « orienter les futurs possibles » par sa personnalité hors-norme. Car si l’avantage industriel écrasant de Washington joue certes à plein à partir de 1943, Hone montre que la guerre contre Tokyo a d’abord été gagnée par l’impulsion agile, dynamique et offensive donnée et entretenue par Nimitz, dont le style de commandement était d’ailleurs complémentaire de celui de MacArthur (1880-1964), nettement plus autoritaire et égocentrique. Au passage, on appréciera les pages consacrées par Hone à l’analyse de l’emploi du temps de Nimitz, capable de s’accorder le temps de penser malgré la pression des événements.
Au final, le lecteur de 2023 ne pourra s’empêcher de dresser des ponts entre son époque et celle de Nimitz. Si la Seconde Guerre mondiale est, à bien des égards, un « autre monde », force est de constater que rien n’a vraiment changé dans la manière d’aborder la confrontation, ni dans la gestion des rapports humains au sein de son propre camp. À l’heure du « multi-milieux, multi-champs » (M2MC), qui remet en cause bien des certitudes sur l’organisation du commandement et sur la manière de l’exercer, explorer le sillage de Nimitz n’est pas une perte de temps.
(1) Hone Trent, Learning War—The evolution of fighting doctrine in the U.S. Navy, 1898-1945, USNI Press, 2019, 402 pages. L’ouvrage a été recensé dans notre numéro de février 2020 (https://www.defnat.com/).