La cryptologie a connu un essor décisif avec la Grande Guerre. La fonction exige un secret maximum, d’où le peu de documentation en source ouverte. Le recrutement des chiffreurs a été compliqué en raison des compétences requises avec des profils très différents marqués par la connaissance de langues étrangères. Le Chiffre français a directement contribué à l’effort de guerre, tout en restant trop méconnu.
Chiffreurs et déchiffreurs militaires français en 1914-1918 : de nouveaux métiers au sein des forces armées
French Military Cryptographers in 1914-1918: New Specialisations for the Armed Forces
The Great War led to a decisive growth in cryptology. Because of the degree of secrecy surrounding the subject, there is little open-source documentation. Recruitment of cryptographers has always been complex by virtue of the requirement for distinctly different profiles, particular skills and knowledge of foreign languages. Though it remains little known, the French cypher contributed directly to the war effort.
Le recrutement par les agences de renseignement françaises est, de nos jours, au cœur d’une politique de communication active. Outre les pages Internet sur les procédures de recrutement, un service comme la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) organise régulièrement des conférences dans les universités françaises pour communiquer sur ses besoins en termes de personnel (1). De telles pratiques visent à attirer une variété de profils, de façon à garantir la diversité du recrutement, dont la DGSE considère qu’elle est « source d’inventivité, de complémentarité et d’efficacité (2). » Au premier abord, il y a tout un monde entre les modes de recrutement actuels et ceux des services secrets du début du XXe siècle. Pour autant, certains critères n’ont sensiblement pas changé.
L’exemple d’une spécialité comme la cryptologie, qui apparaît dans les forces armées françaises dans les années 1910, permet d’illustrer cette permanence. Loin de recourir à une telle communication, cette spécialité nouvelle devait former des experts. La cryptologie se divise en deux branches, dont les objectifs peuvent être complémentaires. Chargée de créer des systèmes de transformation du contenu des messages (coder ou chiffrer (3)), la cryptographie garantit le secret des communications. Son émergence est concomitante avec l’autre branche de la cryptologie : la cryptanalyse, qui doit percer le secret des messages chiffrés interceptés à des fins de renseignement. Ces deux orientations existaient avant 1914, mais c’est pendant la Grande Guerre que les forces armées des belligérants se dotent de tels services spécialisés et pérennes. En France, on les désigne couramment comme les services du « Chiffre », avec une majuscule, et leurs membres sont appelés à l’époque « chiffreurs » et « déchiffreurs ». En pratique, cet article distinguera les « déchiffreurs », chargés de déchiffrer la correspondance des Armées françaises au moyen de codes et systèmes connus, des « cryptanalystes », qui s’attaquent à un système étranger encore inconnu. Ces métiers sont nouveaux dans les forces armées et ils impliquent des structures et des compétences spécifiques que ce texte propose d’étudier pour la période de la Première Guerre mondiale.
Les services du Chiffre militaire français sont présents au sein de l’Armée de terre et de la Marine. L’émergence d’un service naval de cryptanalyse est néanmoins plus lente que ses homologues terrestres. Une telle équipe n’apparaît qu’en 1916 dans l’État-major général de la Marine, alors que la Section du Chiffre créée en 1912 au Cabinet du ministre de la Guerre compte déjà cette mission dans ses attributions. Les services du Chiffre ne se limitent d’ailleurs pas aux ministères et aux états-majors centraux : ils se rapprochent des lignes de front avec la création du Chiffre aux Armées en septembre 1914, puis avec l’instauration des commissaires auxiliaires du Chiffre de la Marine dès 1916.
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