La campagne d’Italie à partir de 1943 ne fut pas le succès stratégique escompté initialement. Malgré la bascule d’alliance de l’Italie, les Alliés ne parvinrent que laborieusement à franchir les différentes lignes défensives mises en place par les troupes allemandes. Les difficultés du terrain montagneux et les affres du climat pesèrent sur la mobilité des forces alliées.
Histoire militaire - L’échec initial en Italie ou la faillite de la stratégie alliée en Méditerranée
Military History—The Initial Setback in Italy, or the Failure of Allied Strategy in the Mediterranean
The Italian campaign of 1943 was not the success that had been expected. Despite the Italian change of allegiance, the Allies had to work hard to overcome the various defensive lines established by German troops. The difficulties of mountainous terrain and of the climate severely hampered the Allied forces’ mobility.
À l’automne 1943, alors que la carte de la guerre se modifie partout au profit des Alliés, un différentiel apparaît nettement entre l’ampleur des succès soviétiques sur le front de l’Est et la lenteur de la progression des Alliés en Italie. La propagande nazie de Goebbels s’en empare même, puisque sur les murs des villes allemandes, mais surtout de celles des pays occupés par le Reich, une affiche fait fureur, celle de la carte du théâtre italien où les forces anglo-américaines sont représentées sous la forme d’un escargot. En réalité, les Américains ont beaucoup trop tergiversé lors de la capitulation en refusant d’étaler d’emblée le renversement d’alliances italien ; ce qui leur a fait perdre des délais, et donc leur liberté d’action, tandis que les Allemands réagissaient avec promptitude pour occuper Rome, prendre contact le plus au sud possible avec les Alliés débouchant de Sicile et les freiner efficacement, pour gagner les délais indispensables afin d’installer une ligne d’arrêt, entre Naples et Rome, à hauteur des Abruzzes.
Carte des lignes de défense allemandes au sud de Rome en 1943-1944
(© Stephen Kirrage, 2006).
C’est ainsi que le débouché de Montgomery depuis Messine dans la « botte » calabraise doit être appuyé par des débarquements au sud de Naples. Non seulement, toutes ces actions trahissent un manque de concentration des efforts (Calabre et région de Naples). Même à Salerne où le général américain Clark avait débarqué (1) (Opération Avalanche), l’échec ne fut évité que de justesse. Au moment où les conditions météorologiques allaient freiner le rythme des opérations, fin octobre–début novembre, la progression alliée était encore symbolique : si Naples avait été prise, Rome semblait hors de portée, d’autant plus que la Via Appia, qui emprunte la vallée du Liri y mène directement. Interdire la vallée du Liri deviendra donc la clé de voute de la défense allemande, coordonnée par le Generalfeldmarschall Kesselring. Cette défense allemande se trouvait facilitée d’une part, par le fait que les Abruzzes constituaient une zone de moyennes montagnes, dépourvue d’axes indispensables à des armées lourdement motorisées comme les armées alliées, et d’autre part, par l’étroitesse du théâtre entre les mers Tyrrhénienne et Adriatique, situation qui permet de ne pas faire d’impasse.
Les Allemands établissent ainsi la Ligne Gustav, à 30 kilomètres au nord de Naples, appuyée sur la coupure du Volturno, entre le Garigliano et le Sandro. Articulée en plusieurs lignes successives, s’appuyant sur des chaînes escarpées, dans une région où le seul axe important est la Via Appia. Ne faisant pas preuve de beaucoup d’imagination tactique, les Alliés vont chercher durant tout l’hiver 1943-1944 à forcer cette ligne par des attaques frontales, qui, toutes échouèrent. Une tentative de débordement par un nouveau débordement, au nord de la Ligne Gustav, conduit en liaison avec une de ces offensives frontales, échoua également, à Anzio. La prise du Belvédère par le Corps expéditionnaire français (CEF) (2), ainsi que la destruction complète du monastère de Cassino par l’aviation alliée n’aboutirent à aucun résultat. En février, le Premier ministre britannique Winston Churchill proposa l’affectation de renforts puissants au profit du théâtre italien, qui seraient puisés sur les forces destinées à Overlord. Arguant du principe que son succès en aurait été compromis pour des résultats hypothétiques en Italie, le président américain Franklin Roosevelt refusa.
Ce ne fut que courant mai, que la manœuvre conçue par le général Juin, commandant le CEF à travers les Monts Aurunci, réputés impénétrables, aboutit à la rupture du front allemand, tandis que les Alliés américano-anglo-polonais, reprenaient l’offensive depuis Cassino et Anzio. Kesselring, à qui revenait tout le mérite du succès défensif allemand de l’hiver, évita l’encerclement de ses grandes unités en les faisant retraiter en ordre et méthodiquement jusqu’à la Ligne Gothique, sur les 200 kilomètres de Pise à Rimini et, en dépit des succès locaux de la VIIIe armée britannique, la situation de l’hiver précédent se répéta. La « Ligne Gothique » allait tenir tout l’hiver 1944-1945 comme la Ligne Gustav avait tenu l’hiver 1943-1944.
Carte de l’avancée alliée et des lignes de défense allemandes en Italie du Nord en 1944
(© The History Department of the United States Military Academy, 1985).
En réalité, dès l’automne 1943, les échecs et les limites de la stratégie alliée en Méditerranée étaient déjà perceptibles. Un délai de six mois avait été indispensable pour aller d’Alger à Tunis et il avait fallu six autres mois pour se trouver bloqués au nord de Naples. Plus grave : la capitulation italienne aurait pu et dû ouvrir de vastes possibilités au plan stratégique. Or, au lieu de cela, elle avait débouché sur une vaste déception, avec notamment l’échec cuisant et sévère subi par les Britanniques dans leur tentative manquée d’occuper les îles grecques de Kos, Léros et Samos en mer Égée (Campagne du Dodécanèse, du 8 septembre au 22 novembre 1943) où ils perdirent plus de 5 000 hommes de leurs meilleures unités et où quatre de leurs croiseurs et sept destroyers furent sévèrement endommagés.
Cette situation, tant en Italie qu’en mer Égée, qui constituent en fait le même théâtre, apportait un nouveau démenti flagrant aux spéculations portant sur les entreprises stratégiques dont il avait été fait état contre le soi-disant « ventre mou » de l’Europe : il s’agissait au contraire des obstacles les plus durs, du terrain le plus aride et du théâtre d’opérations le plus difficile auquel les Alliés se heurtaient maintenant. S’il est un enseignement à tirer des échecs de la campagne d’Italie conduite par les Alliés, c’est bien celui-ci. ♦
(1) Avec la 5e Armée américaine composée du 6e Corps américain et du 10e Corps britannique.
(2) NDLR : Général Carpentier, « Le Corps expéditionnaire français en Italie I et II », RDN, n° 17 et 18, octobre et novembre 1945, p. 439-450 et p. 579-597. Pour la composition du CEF, voir Franc Claude, « Histoire militaire - Le réarmement français en 1943 », RDN, n° 860, mai 2023, p. 108-122.