Réflexions sur la non-prolifération des armes nucléaires
On aurait pu penser que l’entente entre le petit nombre de grands pays nucléaires aurait permis — depuis l’avènement si récent de l’ère nucléaire — une réelle conciliation entre développement civil et non-prolifération des armes nucléaires. Malheureusement, si certains résultats ont été enregistrés, ils sont restés bien en deçà des espérances que l’apport du nucléaire civil avait fait naître.
Les dangers de la prolifération conduisent à limiter la dissémination des technologies, surtout celles qui sont sensibles, alors que le monde a tant besoin d’énergie et que le club nucléaire ne peut pas s’arroger le droit d’en conserver le bénéfice et le monopole. À cet égard, la position des pays en voie de développement doit tout particulièrement être prise en considération.
La politique dite des « fournisseurs » connaît ses limites et les tentatives de solution unilatérale ont échoué. Il faut donc rechercher d’autres solutions susceptibles de recueillir l’adhésion des pays en voie de développement. Or, ceux-ci ne pourront jamais accepter une politique qui les priverait en fait de l’accès aux techniques nucléaires civiles et aux équipements qui y correspondent, alors que le problème énergétique revêt une importance cruciale pour leur avenir.
Cette question se comprend d’autant plus que la plupart d’entre eux n’ambitionnent en rien la possession de l’arme nucléaire.
D’un autre côté, les courants anti-nucléaires de l’opinion mondiale ont été encouragés par la politique américaine durant la présidence de Jimmy Carter, et on ne peut pas ignorer cette sensibilisation.
Les recherches doivent tenir compte des leçons du passé dans l’élaboration d’une politique mondiale, dans le domaine de la non-prolifération, qui soit susceptible de recueillir une adhésion suffisante. Il s’agit de trouver les voies et les moyens d’une réelle coopération entre l’ensemble des États concernés, nucléaires et non-nucléaires, les premiers ne pouvant plus ignorer les seconds ni décider à leur place.
Il est apparu par ailleurs que la politique Carter n’a pas obtenu les résultats escomptés. Elle a entraîné un véritable rejet s’appuyant en particulier sur le non-respect par les États-Unis de l’article IV du TNP, alors que ceux-ci en étaient les inspirateurs et les premiers signataires. Ce rejet est le fait aussi bien des pays industrialisés de l’Ouest et du Japon que du Tiers Monde, l’opposition de ces derniers pays ne facilitant pas le dialogue Nord-Sud, ou ce qu’il en reste ! Dans le même temps, de nouveaux pays, tels que le Pakistan et l’Irak, semblaient proches d’entrer dans le club nucléaire alors que les études de l’INFCE [NDLR 2023 : International Nuclear Fuel Cycle Evaluation] montraient la précarité de véritables verrous technologiques.
Il faut aller plus en profondeur et commencer par avoir clairement conscience des motivations qui sont à la base de l’attitude des pays non-nucléaires. Ceux-ci estiment que l’exemple de la non-prolifération doit venir d’abord des pays nucléaires, notamment des plus importants, dont la prolifération verticale devient de plus en plus intolérable à une large fraction de l’opinion mondiale. Ils considèrent que cette exigence devrait conduire à dégager des idées communes sur le désarmement, non pas en posant le problème en termes généraux et absolus, mais en recherchant des solutions concrètes, même partielles et progressives.
Ils regrettent, comme la plupart des intéressés, que la conférence de Genève de 1980 sur la révision du TNP ait buté sur le non-respect par les puissances nucléaires de l’article VI du traité.
Le monde supporte de plus en plus mal la discrimination et surtout dans un domaine aussi délicat et brutal ; toute convention non-discriminatoire a plus de chances d’être conclue, et ensuite respectée, sans oublier que même dans ces conditions subsistera une inégalité fondamentale entre les pays qui possèdent la maîtrise nucléaire et les autres.
Les parties en cause devraient aussi s’appliquer à tenir compte du facteur « temps », motif d’un certain apaisement pour les uns et de patience pour les autres. Seuls les pays ayant atteint un niveau suffisant de développement industriel — ce qui suppose aussi un environnement technique minimum — peuvent envisager une utilisation unilatérale des équipements qui leur ont été fournis dans un domaine différent de leur vocation d’origine. Le passage du civil au militaire suppose que soient réunies des conditions que, finalement, peu de pays en développement possèdent pour l’instant.
Un équilibre peut être recherché entre l’existence technique indispensable et des contrôles stricts qu’il faut faire non seulement accepter mais respecter. L’Agence de Vienne a déjà prouvé sa capacité dans ce domaine, et son rôle doit être accru. Une position de refus brutal ne sera plus comprise ni admise, alors que l’on trouvera dans la coopération les moyens d’aboutir au résultat souhaité, sans heurter de la même manière ses partenaires.
Même si les réponses techniques à la non-prolifération n’ont qu’une valeur relative, il convient aussi de les utiliser, les pays nucléaires ayant d’ailleurs de moins en moins la possibilité de conserver une attitude d’abstention qui n’est plus susceptible de préserver leur monopole.
Qu’on le veuille ou non, les relations internationales sont fondées très largement sur des rapports de force, mais l’habileté diplomatique au service d’une politique sérieuse peut conduire à d’heureux résultats. L’essentiel est une bonne appréciation des forces en présence ainsi qu’une volonté de dépasser ce stade pour mettre en œuvre des solutions où l’éthique internationale aurait sa place, une place que, pour préserver la paix, l’on peut, l’on doit espérer croissante dans l’avenir. ♦