Si le front terrestre attire l’attention, la guerre en Ukraine est aussi navale avec l’enjeu du contrôle de la mer Noire. Celle-ci est devenue un théâtre militaire majeur avec de nombreux enseignements dont le manque de pertinence de la distinction entre maritime et naval, comme le démontre la question du trafic commercial essentiel pour les deux camps.
La guerre en Ukraine à l’aune des principes de stratégie navale
The War in Ukraine Seen Through the Principles of Naval Strategy
Whilst the land battle attracts most attention, the war in Ukraine is also a naval one, with control of the Black Sea at stake. The Black Sea has become a major military theatre which offers a number of lessons to be learned. Among them, the irrelevance of any distinction between maritime and naval, as demonstrated by the issues of commercial traffic for both sides.
L’agression russe de l’Ukraine ne se comprend guère si on ne mesure pas l’importance que représente pour la Russie, son ouverture vers la mer Noire. C’est ce que rappelait en substance l’historien britannique Geoffrey Till lors de la première édition de la Conférence navale de Paris de janvier 2023 (1), en soulignant le besoin pour Moscou de sécuriser sa capacité, permise par la mer, d’insertion dans le système économique mondial. L’analyse globale du conflit russo-ukrainien appelle donc à une solide réflexion de pensée navale, en complément de l’abondante littérature consacrée aux manœuvres sur le théâtre aéroterrestre qui ont jusque-là et fort logiquement focalisé l’attention des observateurs. Cet article entend modestement participer à cet objectif en tirant les leçons du conflit au prisme de trois grandes distinctions classiques de la stratégie navale : celle qui différencie la stratégie navale de la stratégie maritime, le traditionnel triptyque guerre de côtes, guerre de course et guerre au large, et enfin l’opposition séculaire entre école historique et école matérielle.
Stratégies maritime et navale : l’impossible distinction
C’est l’historien naval et géostratégiste britannique Sir Julian Corbett qui a distingué stratégie navale et stratégie maritime (2). Selon lui, la première, qui désigne la lutte entre navires militaires, serait une condition nécessaire à la mise en œuvre d’une stratégie maritime, celle-ci étant comprise comme la capacité à exploiter la mer, notamment en y faisant circuler ses navires marchands. De fait, cette distinction a toutes les apparences pour s’appliquer à la guerre en Ukraine, l’un des principaux enjeux en mer se cristallisant autour de la faculté d’exporter des biens par voie maritime.
Au tout début de ce qu’on peut qualifier de « bataille des céréales », la Russie a ainsi instauré, en février 2022, une zone d’interdiction maritime au nord de la mer Noire, agrémentant cette décision de quelques frappes ciblées sur des bâtiments de commerce dans les ports ukrainiens. Par ce biais, elle s’affranchissait de la déclaration d’un blocus, très coûteux en moyens pour assurer un contrôle total des mouvements sur zone et, qui plus est, acte de guerre caractérisé dans ce qu’elle qualifie d’« Opération militaire spéciale » (3). La Russie obtenait néanmoins le même résultat en parvenant à interdire tout trafic ukrainien dans les premiers mois de la guerre, jusqu’en juillet 2022.
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