L’amiral de Grasse et l’Indépendance américaine. Tome I : Commander en opérations
L’amiral de Grasse et l’Indépendance américaine. Tome I : Commander en opérations
Les historiens se concentrent généralement sur les batailles navales, plus ou moins décisives. Néanmoins, « La mer est un chemin et non un champ de bataille » comme le disait si bien le publiciste Reybaud (1799-1879). En effet, les batailles navales décisives sont rares. La vie quotidienne d’une marine se caractérise plutôt par une « activité constante » : présence, escorte, transport, reconnaissance, etc.
L’histoire navale traditionnelle a également tendance à se concentrer sur les grands navires. Or, comme le soulignent les auteurs, une force navale ne peut être dirigée et les opérations ne peuvent être menées sans un certain nombre de navires plus petits. Une force navale doit avoir une composition équilibrée pour réaliser ce que l’Amiral Castex appelait « la liaison des armes sur mer ».
Un troisième thème récurrent est ce que le théoricien prussien Carl von Clausewitz appelle la friction. La nuit, la force tend à se désorganiser. Le Gulf Stream n’était pas connu. La longitude de la position était difficile à déterminer. Un changement soudain du vent pouvait avoir un impact majeur. Les navires avaient des caractéristiques nautiques très différentes et il était difficile de faire passer un ordre, en particulier au combat.
Le livre a pour cadre les opérations de l’amiral de Grasse dans les Antilles et en Amérique du Nord en 1781-1782. La bataille de la baie de Chesapeake (5 septembre 1781) en est la plus célèbre. L’ouvrage est organisé de manière thématique plutôt que chronologique. La première partie traite de la vie en mer en général : comment faire fonctionner une grande force navale en mer, comment vivre à bord et comment mener à bien les différentes sous-opérations telles que l’escorte, les débarquements (projection des forces), les évolutions, etc.
La deuxième partie aborde les problèmes opérationnels, nautiques et logistiques liés aux opérations de l’autre côté de l’Atlantique. L’incertitude est permanente : les convois de provisions et de rechanges promis arriveront-ils ou non ?
La bataille en mer est le thème principal de la troisième partie. Le point principal ici est le commandement – comment un chef d’armée navale de l’époque a-t-il dirigé ses forces, en particulier pendant la bataille ? L’absence de doctrine tactique et la difficulté de formuler les intentions avec les livres de code limités de l’époque posent de grands problèmes.
Le livre se termine par une analyse opérationnelle très intéressante de l’ancien Chef d’état-major de la Marine (CEMM), l’amiral Prazuck, et par des résumés de MM. Chaline et Kowalski. On y trouve également les portraits des principaux acteurs et une chronologie de la période concernée, ce qui est très important dans un ouvrage organisé de manière thématique. Il comporte également de nombreuses références et un index.
Une grande partie du contenu est basée sur des analyses et des comparaisons des journaux plus ou moins privés des officiers participants. Les citations sont nombreuses, ce qui permet au lecteur de se faire une idée de la manière dont ils ont vécu les opérations. Pour le lecteur, ce livre offre un aperçu intéressant des problèmes rencontrés par les marins d’antan. Aujourd’hui, nous sommes habitués aux décisions prises en une fraction de seconde, à une navigation précise, à la connaissance de l’espace de bataille (Dominant Battlespace Awarenesss) et au combat multidimensionnel (M2MC, multi-milieux, multi-champs). À l’époque, une lettre mettait des semaines à arriver, un ordre prenait des heures à être exécuté, la situation en matière de renseignement était incertaine et tout dépendait de cartes et de conditions météorologiques aléatoires. D’autre part, le gouvernement n’avait pas la possibilité de faire de la microgestion ; l’amiral était largement laissé à ses propres moyens et à son propre jugement.
L’ouvrage est magnifiquement illustré, s’appuie sur des recherches approfondies et bien documentées, il se lit très facilement. Il mérite amplement le Grand Prix de l’Académie. ♦