Histoire de la sécurité européenne depuis 1945 – De la guerre froide à la guerre en Ukraine
Histoire de la sécurité européenne depuis 1945 – De la guerre froide à la guerre en Ukraine
Le coup de tonnerre du 24 février 2022 dans le ciel européen a rappelé cruellement aux citoyens du continent qu’un élément important de leurs conditions de vie n’était pas acquis pour l’éternité : la paix. Ce retour brutal de la guerre en Europe n’était pas sans prolégomènes récents ni racines plus lointaines.
L’ouvrage du professeur Badalassi constitue ainsi une sorte de retour en arrière depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours pour montrer au lecteur que l’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis maintenant deux ans n’est pas un événement de conjoncture ni un épiphénomène ; il s’agit, aujourd’hui, du point d’aboutissement de l’évolution d’une vision politique de la Russie qui s’est graduellement forgée, sans linéarité, depuis plusieurs décennies.
Il est possible d’avancer qu’une « remise à zéro » politique à Moscou s’est réalisée dans le sillage de la victoire de la Grande Guerre patriotique – appellation soviétique puis russe de la Seconde Guerre mondiale – sur le régime du IIIe Reich. Ce succès obtenu au prix de sacrifices humains considérables donne une nouvelle assise et une crédibilité populaire au régime de l’Union soviétique. Celle-ci, avec l’acquisition rapide de l’arme nucléaire, devient bientôt l’alter ego des États-Unis sur la scène internationale. Le duopole est en place et la guerre froide peut se dérouler non sans, toutefois, des phases de tensions ou de détentes.
Paradoxalement, les choses vont se gâter quand l’Union soviétique s’effondre en laissant la place à une quinzaine de républiques indépendantes dont la première d’entre elles, la Russie, va s’enfoncer rapidement dans une crise politique et économique dont elle mettra près de dix ans à sortir. Alors que les États-Unis se retrouvent en position de « monopole » géopolitique, des situations locales, dans les Balkans, dans le Caucase, en Asie centrale ou en Europe orientale, sous des pressions nationalistes, ethniques ou religieuses, vont devenir explosives et parfois dégénérer en conflits ouverts. Le « nouvel ordre mondial » cher au président américain George H.W. Bush (1990) n’aura été qu’un feu de paille.
Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et leurs funestes conséquences vont achever de désorganiser un ordre euro-atlantique mal établi et déséquilibré par une puissance américaine tout à la fois trop assurée, mal avisée et obnubilée par la menace terroriste. La Russie voit ainsi l’opportunité de « reprendre son rang » après la décennie catastrophique des années précédentes. La déclaration du président Poutine lors de la Conférence de sécurité de Munich de 2007 marque le point de rupture rhétorique et l’année 2008 en voit la concrétisation.
L’auteur propose au lecteur un parcours historique de cette époque et structure sa chronologie autour de huit chapitres équilibrés et couvrant des périodes de durées voisines. Ce choix évite la répartition trop classique entre « guerre froide » et « post-guerre froide ». Il permet surtout une approche plus fine des événements marquants, leurs origines et leurs impacts. Il met en relief ce qui est considéré trop souvent aujourd’hui comme un seul bloc, la guerre froide ; celle-ci apparaît ici dans sa complexité historique traversée, notamment, par les questions de contrôle et de réduction des armements ou l’émergence d’une architecture européenne de sécurité.
Pour le lecteur, ce choix, renforcé par un plan détaillé, autorise une lecture plus facile et une navigation plus souple sur l’ensemble de l’époque ; l’auteur souligne ainsi fort pertinemment la succession des cycles qui ont animé et parcouru ces huit décennies. En historien, il en fait surgir la continuité historique, parfois sinueuse ; il montre bien que rien ne surgit de nulle part, que tout événement est bien, d’une manière ou d’une autre, le résultat d’un précédent.
Le dernier chapitre identifie très justement 2008 comme l’année décisive sur le sujet traité. La guerre russe en Géorgie, courte et trop rapidement oubliée par les autres acteurs, constitue indéniablement le prologue de ce qui va se passer plus tard en Ukraine, en 2014 puis 2022. Dans une veine opposée, l’auteur ne donne pas l’importance souvent attribuée aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 sur le sol américain, hâtivement qualifiées par certains de changement de paradigme.
Tout au long de son livre, l’auteur ne manque pas de signaler implicitement un des paradoxes de l’Europe : alors que par sa position géostratégique et sa richesse économique et culturelle, le continent exerce une influence incontestable sur la scène internationale, il s’est révélé jusqu’ici incapable de prendre ses responsabilités pour sa propre sécurité. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), dont la mission principale est la défense collective de l’Europe, est « dirigée » par les États-Unis. La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE, ancêtre de l’OSCE) n’aurait jamais vu le jour sans l’engagement américain. Même l’Union européenne n’a pu être mise sur pied et prospérer que dans l’ombre de l’Otan.
Le professeur Badalassi propose un ouvrage de référence. Loin des formules faciles et des propos des pseudos experts autodéclarés qui font florès, cet ouvrage offre une vue générale et une compréhension profonde des problématiques sécuritaires sur le continent européen depuis 1945. Leur épilogue, actuel et provisoire, le plus considérable est l’agression de la Fédération de Russie en Ukraine, mais bien d’autres questions sont évoquées. Le lecteur disposera ainsi des moyens de lecture et d’interprétation de ces événements et possédera les outils nécessaires pour interroger l’avenir. À l’heure où la paix en Europe est mise sous tension, la lecture d’un tel ouvrage donne de l’air à l’esprit.
Nicolas Badalassi, professeur des universités à Sciences-Po Aix où il enseigne et dirige un master de relations internationales, nous fait partager ses connaissances dans un ouvrage qui est à recommander à toute personne intéressée, de près ou de loin, par les questions de sécurité dans l’espace euro-atlantique. ♦