L’Europe semble en souffrance par rapport à l’IA avec du retard accumulé face aux géants américains et chinois. Cela crée une forme de dépendance des pays européens et donc un risque pour la défense des intérêts fondamentaux des États, ceux-ci ne semblant pas avoir les moyens pour rester compétitifs sur une scène internationale dominée par les États-Unis et la Chine.
Intelligence artificielle et défense des intérêts fondamentaux européens : une lecture par la théorie de la dépendance
Artificial Intelligence and the Defence of Fundamental European Interests Seen Through the Theory of Dependence
Europe is lagging in AI matters, having suffered accumulated delays when compared with the US and Chinese giants. The situation has created dependence for European countries and a risk to the defence of their fundamental interests: it would seem that Europeans lack the means to remain competitive in an international market dominated by the United States and China.
La capacité des pays à développer des entreprises d’IA est essentielle à leur compétitivité. Ces sociétés fournissent des outils et des services au nombre croissant d’entreprises qui adoptent l’IA. En effet, le pourcentage mondial de grandes entreprises utilisant l’IA dans au moins une fonction ou une unité commerciale augmente d’année en année. En 2023, 83 % des entreprises déclaraient que l’IA est leur priorité pour les années à venir. Dans la mesure où le pouvoir s’exerce sur une base informationnelle, les déterminants du succès ou de l’avantage ont moins à voir avec l’information que l’on possède et les connaissances que l’on peut en déduire à des fins stratégiques, qu’avec la gestion d’une information de plus en plus automatisée (Atif et al., 2022). En ce sens, l’IA est un enjeu de pouvoir et s’inscrit plus largement dans une démarche d’intelligence économique.
De toute évidence, les puissances sont désormais engagées dans une course à l’IA, même si seuls deux pays semblent en mesure de la remporter : les États-Unis et la Chine (Thibout, 2018). Quant à l’Europe, elle tente de retrouver une position de leader face à d’autres acteurs comme la Russie et la Corée (Atif et al., 2022). Le risque ne réside pas dans l’utilisation de l’IA mais dans les algorithmes ou les outils qui permettent son utilisation. La plupart de ces algorithmes et outils sont développés en dehors de l’Union européenne et placent ses États-membres dans une certaine forme de dépendance vis-à-vis de puissances étrangères. Cela génère bien sûr des risques pour la sécurité nationale et la protection des intérêts fondamentaux des États européens.
Cette situation de dépendance est non sans rappeler les théories développées dans le cadre de la décolonisation. En particulier, la théorie de la dépendance basée sur les travaux de Theotonio Dos Santos (1970). Celle-ci est une critique du structuralisme, le corpus théorique développé dans le cadre de la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine (CEPAL) dans les années 1950 et 1960. Cependant, cette théorie présente un intérêt particulier dans le contexte des dépendances en matière d’IA. De manière singulière, mais non-triviale, nous tenterons d’analyser la situation européenne au prisme de ce cadre théorique. Il ne s’agit évidemment pas de considérer l’Europe comme une zone géographique en développement, mais plutôt de démontrer que dans certains secteurs d’activités sensibles, les anciennes puissances occidentales peuvent se retrouver en situation de dépendance, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer dans la société dans son ensemble.
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