L'auteur traite du livre du général Poirier, Essai de stratégie théorique, objet également d'une analyse dans ce numéro de Jacques Vernant, mais chacun voit la même œuvre sous un jour différent, celui du militaire et celui du politologue.
À travers les livres - Essai de stratégie théorique
C’est une heureuse initiative que vient de prendre la Fondation pour les études de Défense nationale en réunissant dans son dernier cahier les Essais de Stratégie Théorique du général Lucien Poirier (1). On regrettera seulement qu’ils n’aient pu trouver place dans une édition plus commerciale qui leur eût assuré une plus large diffusion. Il est temps en effet de rendre pleine justice à l’œuvre considérable de celui que j’appellerais bien notre Clausewitz… si je n’entendais déjà le rire joyeusement ironique que ce baptême pompeux amènerait aux lèvres de notre modeste et tenace camarade. La discrétion dont il a toujours entouré ses recherches – alors qu’il est le père du modèle logique de notre actuelle stratégie – donne certes du prix à sa création : toute vérité ne reste pure que dans la discrétion. Mais il faut être efficace et se résigner à la divulgation.
Lucien Poirier est un impitoyable logicien. Abordant l’enfer de l’arme nucléaire, certains s’en défendent par de fréquents retours à la plus haute morale. Lui a choisi la voie ascétique de la rigueur froide, la plus apte à dégager la réalité d’un phénomène éblouissant. On l’a souvent classé auteur difficile. C’est, en cette matière, un compliment : comme le dit son cher Valéry, « s’il est des obscurités qui tiennent à l’impuissance de celui qui parle, d’autres tiennent aux choses dont on parle » (2).
Si Des stratégies nucléaires, paru en 1977, reste son maître-ouvrage, les essais que voici nous livrent des matériaux bruts. Les deux premiers, issus des recherches effectuées dès 1965 au sein du Centre de Prospective et d’Évaluation du ministère des Armées, devraient constituer l’indispensable bréviaire de ce qui est engagé, nolens volens, dans la mise en œuvre (mieux : en menace) de nos forces et leur maintien en état d’efficacité. Indispensable, plus généralement, à qui fait valoir à l’extérieur notre politique, dans cette ère nouvelle qu’a ouverte l’explosion d’Hiroshima.
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