La guerre a subi progressivement une réduction de son fondement juridique. Devenu en 1945 illicite par principe, l’affrontement armé entre États obéit à des règles tendant à limiter le recours et l’usage de la force par les mécanismes de sécurité collective prévus par les organisations internationales. Loin d’avoir disparu, à l’entrée dans le XXIe siècle, la guerre peut aussi être contrée par l’ingérence humanitaire dans les conflits internes et la justice internationale pour juger les crimes de guerre ou contre l’humanité. Porteurs de tous les espoirs de la mondialisation, le droit international demeure le facteur principal d’une organisation sociale assurant la coexistence entre les États et la satisfaction des intérêts communs de l’humanité.
« La guerre et le droit : quel espoir pour le XXIe siècle ? »
Le XXe siècle restera lié à la guerre ainsi qu’à la pratique répétée des crimes contre l’humanité. À l’entrée dans le troisième millénaire, grande est la tentation de réagir contre ce bilan accablant et d’interdire la guerre au moyen d’une sorte de règlement de police. Pour évidente qu’elle puisse paraître, cette idée masque mal la permanence du phénomène guerrier : sur trois mille quatre cents ans d’histoire connue, il n’y a que deux cent cinquante ans de paix générale (1). Tout indique pourtant qu’après avoir atteint des sommets de violence, la guerre est de moins en moins admise. Depuis la fin de l’affrontement Est-Ouest, l’action des organisations internationales ou non gouvernementales en faveur de la paix est devenue une réalité tandis que les crimes de guerre ou contre l’humanité, longtemps impunis, commencent à être sanctionnés. Au seuil du XXIe siècle, l’espoir de voir reculer la guerre n’est pas vain.
L’ambivalence du droit vis-à-vis de la guerre
Sans cesse placés sous le signe de la contradiction, les rapports entre la guerre et le droit ont progressivement évolué de la reconnaissance de son caractère légitime à son interdiction de principe, avec, pour dénominateur commun, la recherche constante de l’encadrement de l’usage de la force armée.
Le droit à la guerre
L’une des contributions les plus décisives du droit au phénomène de la guerre tient à la recherche successive de ses fondements qui aboutit en 1945 à sa condamnation de principe. Il faut en effet attendre le milieu du XXe siècle pour aboutir à un revirement du droit international classique, qui, au moins jusqu’en 1919, n’a jamais cherché à restreindre l’usage de la guerre (2), manifestation normale de la souveraineté et incarnation de la violence légitime, dont l’État, selon Max Weber, exerce le monopole. Car avant cet éminent sociologue, ce sont deux des plus grands auteurs du droit international, Hugo de Groot dit Grotius (1583-1645) et Vattel (1714-1768) qui donnent à la guerre son caractère juridique le plus important : un pouvoir entre les mains de l’État. Le premier affirme dans son œuvre majeure, le « De Jure Belli ac Pacis » — du droit de la guerre et de la paix — que l’usage de la force n’est légitime que si l’État est atteint dans ses droits fondamentaux. Le second admet que la guerre juste est celle qui est conforme à la justice et respecte certaines formes : elle doit être conduite ouvertement, et non clandestine ou inavouée. La guerre porte en elle ses propres excès : limitée pendant longtemps au règlement de différends entre monarques, elle devient celle des empires puis des nations ; devenue mondiale, elle appelle alors d’autres règles. Dans le Pacte de la Société des Nations, le recours à la guerre n’est licite qu’après le recours à des procédures et l’expiration d’un délai de trois ans. Le pacte Briand-Kellog du 27 août 1928 pose le principe de l’interdiction générale du recours à la guerre. La Charte de l’Organisation des Nations unies va beaucoup plus loin. Elle s’ouvre par une condamnation sans appel de la guerre, ce « fléau qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ». Elle pose ensuite le principe que « les États membres s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies » (article 2-4). Cette obligation est même étendue aux États non-membres de l’Onu (article 2-6). Cependant, comme toute règle de droit, des exceptions subsistent. Ainsi en est-il de la légitime défense, prévue à l’article 51 de la charte de San Francisco, plus proche toutefois d’une mesure de rétorsion que de représailles. D’où sa double limitation au « cas où un membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée » (et) « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». De leur côté, les acteurs de la société internationale n’ont pas manqué de faire valoir d’autres cas dans lesquels l’emploi de la force serait légitime. Il en va ainsi de l’action collective entreprise dans la Charte et des encouragements à la lutte armée pour se libérer d’une domination coloniale ou étrangère, qui sont autant de réminiscences de la guerre juste. Car cette dernière n’a pas disparu, elle est celle qui paraît acceptable à l’opinion publique : plus de cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui pourrait prétendre que le recours à la force contre le nazisme n’était pas justifié ?
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