Défense en Europe - La refondation de la Bundeswehr
La République fédérale d’Allemagne vient d’entreprendre une réorganisation de ses forces armées que le ministère de la Défense qualifie lui-même de « refondation ». Les éléments fondamentaux de cette réforme ont conduit, tant du côté allemand que du côté français, à s’interroger sur sa finalité. Certains y ont vu une renaissance de la Reichswehr, d’autres un pas vers l’armée de métier, d’autres enfin une prise en compte pragmatique du changement de l’environnement international et de l’intégration européenne.
Se fondant sur des critères stratégiques, politiques et économiques la RFA prépare, de fait, une défense résolument moderne et adaptée à son nouveau poids international.
Les critères du changement d’orientation de la défense allemande sont les mêmes que ceux qui ont prévalu à la réforme conduite en France. Il y a, en premier lieu, le constat stratégique de disparition de l’ennemi à l’Est. Il a fallu toutefois attendre cinq ans après le départ de l’Armée rouge d’Allemagne pour admettre que la Russie ne constitue plus pour elle une menace existentielle. Les équipements de la défense allemande sont devenus, de ce fait, inadaptés et d’un entretien coûteux.
Les forces terrestres sont trop lourdes avec leurs 2 500 chars Leopard II et leurs 3 500 véhicules de combat blindés. La moitié d’un contingent de conscrits choisit, par simple commodité, le statut d’objecteur de conscience, pour effectuer un service civil. Les forces aériennes et les forces navales ont un rayon d’action limité. Enfin aucune coordination interarmées n’est possible car il n’existe pas de chef d’état-major des armées, ni d’état-major interarmées digne de ce nom.
Par suite de l’absence d’ennemi à l’Est, les nouvelles démocraties sont toujours à la recherche de la stabilité politique. Les « marches de l’Est » retrouvent une réalité historique et stratégique. Cette zone d’instabilité engendre l’inquiétude en RFA, ce qui suscite une volonté de participer plus activement à la stabilisation politique de cette partie de l’Europe. Dans le domaine international, la nouvelle Allemagne n’a pas encore trouvé sa place. Son effort de défense n’est pas en rapport avec son rang de troisième puissance économique mondiale.
La décision de la Cour de Karlsruhe d’autoriser les engagements extérieurs dans le strict cadre des alliances dont l’Allemagne est partie, constitue une évolution notable. Les engagements en Bosnie et surtout au Kosovo ont cependant montré la limite des capacités militaires allemandes. Le matériel terrestre est trop lourd pour ces missions ; les capacités de transport aérien limitées à celle d’un avion de trente ans d’âge ; les moyens de renseignement sont inexistants ; quant à la logistique, elle est inadaptée à la projection.
La durée de l’engagement au Kosovo conduit à la désorganisation des unités restées en RFA, donnant l’impression désagréable d’une armée à deux vitesses ; l’une qui intervient, l’autre qui sert de pourvoyeur en personnel et en matériel. On se trouve ainsi devant le paradoxe suivant, la première puissance européenne de l’Otan se trouve moins « engagée » que la France, « électron libre » de l’Alliance. Le funeste slogan des « dividendes de la paix » a conduit naturellement les responsables politiques à s’interroger sur l’utilité d’un budget de 45 milliards de DM pour un rendement politique aussi infime.
Après ce constat réaliste, le ministre de la Défense a jugé convenable d’entreprendre d’urgence une réforme fondamentale de la Bundeswehr, malgré les appels à la prudence de certains chefs militaires.
Les traits les plus marquants de cette réforme ne sont pas ceux qui portent sur les effectifs, l’adaptation des structures de commandement ou du matériel aux nouvelles missions, mais plutôt ceux qui impliquent la volonté de réorienter la politique de défense de l’Allemagne. Les détails techniques de la refondation sont déjà connus et moins profonds qu’on pouvait s’y attendre. Le service militaire obligatoire est maintenu, et réduit à neuf mois, mais en même temps les effectifs des appelés sont diminués de 50 000 et ceux du personnel civil d’autant.
Le nombre du personnel de carrière passera de 185 000 à 200 000 et sera rajeuni. Des mesures catégorielles d’incitation au volontariat seront effectives dès 2001 notamment pour les sous-officiers et les jeunes officiers. Enfin les femmes seront admises dans toutes les unités des forces armées.
Les ressources humaines et matérielles des trois armées non affectées aux forces d’instruction seront regroupées en une base interarmées des forces qui rassemblera plus de 100 000 hommes.
Les ressources dégagées par les économies en personnel et en matériel, estimées à 1 milliard de DM, devraient être entièrement reportées sur les investissements.
Les réformes les plus fondamentales portent sur la capacité de la RFA d’exercer, à l’intérieur de l’Alliance et de l’Union européenne, l’influence qu’elle estime de son niveau.
L’Allemagne se fixe pour capacité principale la conduite d’opérations interarmées de grande envergure avec un maximum de 50 000 hommes pendant une période d’un an, ou de deux opérations moyennes engageant 10 000 hommes chacune pendant plusieurs années et en même temps des actions de faible intensité.
Pour mener à bien ces actions le nombre des matériels lourds sera diminué et un nouveau concept d’équipement et d’acquisition des équipements sera mis en œuvre.
Le chef d’état-major des armées aura des responsabilités opérationnelles et disposera d’un état-major interarmées situé à Potsdam.
Par ailleurs, le CEMA présidera un conseil d’armement chargé d’harmoniser les besoins en matériel des trois armées. Une société pour le développement, l’approvisionnement et la mise en œuvre du matériel sera constituée directement auprès du ministère de la Défense.
Une synergie aussi complète que possible avec l’industrie devra permettre non seulement la réalisation la mieux adaptée pour les équipements, mais également leur maintenance ainsi que la formation du personnel.
Cette réorganisation dans le domaine de la définition des armements devrait permettre une rapide adaptation du matériel aux nouvelles capacités de projection de la Bundeswehr.
Enfin, la volonté politique de la RFA de prendre en main ses intérêts stratégiques s’exprime sans équivoque dans la perspective de voir la Bundeswehr se doter de « moyens de renseignement spatiaux propres ».
La refondation de la Bundeswehr se caractérise donc par une certaine prudence dans ce qui touche aux effectifs et aux implantations territoriales, mais aussi par une grande modernité dans l’optimisation des ressources financières.
Ces deux tendances qui paraissent contradictoires laissent présager d’autres évolutions.
La plupart des analystes stratégiques allemands conviennent qu’il s’agit incontestablement d’un pas vers la professionnalisation complète des armées qui pour des raisons historiques et politiques ne pouvait se faire de but en blanc. Bien que le document du ministère de la Défense fasse en permanence référence à l’Alliance atlantique et que la RFA s’inspire beaucoup du modèle américain, notamment dans le domaine de la coopération entre l’industrie et la défense, la réforme paraît correspondre avant tout à une prise en compte du statut de puissance européenne pour l’Allemagne.
Cette tendance est corroborée par la volonté d’appliquer rapidement les décisions d’Helsinki de décembre 1999, mais aussi par la même volonté de disposer d’une autonomie d’analyse et de jugement grâce aux satellites. Au reste, un récent sondage montre que 67 % des Allemands estiment qu’une défense européenne indépendante est plutôt nécessaire.
Une telle évolution montre enfin qu’entre la France, puissance mondiale de taille européenne, et l’Allemagne, puissance européenne de taille mondiale, la seule synergie possible se situe à l’échelon européen donc dans la mise sur pied d’une puissance européenne. ♦