Gendarmerie - La gendarmerie est-elle une force ou un service de police ?
Il est des questions qui indisposent, d’autres qui mettent en cause, d’autres enfin qui incitent à la réflexion. Se demander si la gendarmerie est une force ou un service de police, ce n’est pas simplement essayer de trancher une question de sémantique ou de doctrine, c’est aussi se pencher sur la nature de cette institution atypique et répondre aux interrogations qui existent notamment chez certains partenaires européens, pour lesquels statut militaire et démocratie ne font pas forcément bon ménage. Ce n’est pas un hasard si cette question a été au centre de l’intervention de Mme Anita Hazenberg, à l’occasion du colloque « Gendarmerie et démocratie » organisé, par la direction générale de la gendarmerie, à Strasbourg, les 30 et 31 octobre 2000. Contrairement aux autres interventions, limitées pour l’essentiel à des considérations normatives plus ou moins apologétiques, il s’agissait pour ce responsable du programme « Police et droits de l’homme 1997-2000 » du Conseil de l’Europe, de présenter les caractéristiques de ce que devrait être un service de police, avec comme idée sous-jacente que l’organisation qui ne les possédait pas ne pourrait être qu’une force de police : c’est-à-dire un appareil coercitif entre les mains du pouvoir politique, privilégiant le maintien de l’ordre public, n’hésitant pas à recourir à une force (violence d’État) pas toujours maîtrisée et ne prêtant guère d’attention aux attentes de la population. Bien que la question n’ait pas été directement posée s’agissant de la gendarmerie, le propos était bien d’indiquer qu’à défaut d’évolutions importantes, cette institution ne pouvait qu’appartenir à cette seconde catégorie, dans lesquelles figurent, de toute évidence, outre les polices des régimes autoritaires, les forces demeurées à l’écart de la modernité politique pour n’avoir pas su rompre avec la conception « weberienne » de la police, simple instrument du monopole de la contrainte physique légitime.
Avant d’apporter quelques éléments de réponse à cette question, il est nécessaire de revenir sur les trois principales caractéristiques attachées à cette idée de service de police, qui apparaît, par certains côtés, comme une émanation du paradigme anglo-saxon de la police communautaire (community policing), maladroitement traduit par l’expression de « police de proximité » aujourd’hui au centre du projet de réforme de la police nationale. En premier lieu, un service de police se doit d’être représentatif de l’ensemble des composantes de la population, ce qui suppose un effort d’intégration en direction de tous les groupes sociaux et autres minorités, notamment les jeunes, les femmes et les personnes issues de l’immigration. Par ailleurs, sur un plan plus organisationnel, la police doit intégrer les principes du management public et faire du respect des droits de la personne la priorité de son action, ce qui passe par un effort particulier de formation. Enfin, parce qu’elle est au service de la population, la police doit accepter le développement de contrôles externes de son activité, qu’il s’agisse de l’organisation périodique d’enquêtes de satisfaction destinées à évaluer, directement auprès des usagers, la « performance policière », c’est-à-dire son aptitude à répondre aux besoins de la population, mais aussi de la mise en place de comités indépendants disposant de pouvoirs d’enquête et de visite dans les services, notamment pour prévenir et faire sanctionner toute violation des droits fondamentaux de la personne. Et de souligner combien il est difficile de ne pas adhérer à ce type de recommandations, même si on peut tout de suite observer qu’elles sont loin d’avoir été mises en œuvre dans la plupart des États démocratiques, même ceux disposant uniquement de forces de police à statut civil. Aussi l’idée de service de police ne représente-t-elle au mieux qu’un modèle, une vision idéale qu’il appartient aux responsables politiques et institutionnels de rendre effective par des réformes de structures et des changements de mentalités.
Pour ce qui est de la gendarmerie, comme d’ailleurs de la police nationale, l’observation conduit à reconnaître que la démarche, en ce domaine, n’est qu’esquissée, s’agissant notamment de la féminisation, de l’intégration des jeunes issus de l’immigration ou bien encore de la mise en place de véritables contrôles externes (mécanismes autres que judiciaires et institutionnels) (1). Sur un autre plan, il est possible de regretter le caractère encore trop formel de la formation en ce qui concerne le respect des droits de l’homme, tout comme d’ailleurs l’absence d’un véritable code de déontologie, regroupant, sur le modèle de la police nationale, l’ensemble des règles applicables aux militaires de la gendarmerie (2). Pour autant, les accusations et les affaires pouvant donner à penser que cette institution se livrerait à des traitements inhumains ou dégradants, voire à des manquements notables aux libertés publiques, demeurent pour le moins exceptionnelles, même si, en ce dernier domaine, les attentes doivent légitimement demeurer insatiables, notamment s’agissant d’amélioration des conditions de garde à vue et de détention. Ce comportement, dans l’ensemble, irréprochable a été d’ailleurs constaté au terme des visites effectuées dans des unités de gendarmerie, depuis le début des années 90, par le Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe. Par ailleurs, la même exigence doit conduire à reconnaître que les mécanismes formels permettant d’édifier un service de police, pour opportuns et souhaitables qu’ils puissent être, ne constituent pas en soi une garantie suffisante pour l’éradication des comportements discriminatoires et attentatoires aux droits fondamentaux de la personne.
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