Amérique - 2001 : une année historique pour le Pérou
L’année 2001 s’annonce déterminante pour le retour de la démocratie au Pérou.
Le 9 avril prochain, de nouvelles élections présidentielle et législatives seront organisées, un an après les précédentes qui s’étaient tenues dans une situation politique caractérisée par une dérive accélérée du régime d’Alberto Fujimori vers l’autoritarisme : absence d’indépendance des institutions judiciaires, neutralisation des médias indépendants, déstabilisation des dirigeants de l’opposition par les services de renseignement alors dirigés par l’éminence grise de l’époque, Vladimiro Montésinos, lequel est à l’origine de la chute d’Alberto Fujimori, « son frère siamois », comme l’a qualifié le leader de l’opposition à l’ancien président, Aléjandro Tolédo.
Pour la première fois depuis 1990, Alberto Fujimori, réfugié au Japon depuis le mois de novembre dernier et destitué le 22 novembre 2000 par le Congrès « pour incapacité morale permanente », ne sera pas candidat. Nous avons tous en mémoire les péripéties de sa chute politique qui semblait, en fait, annoncée le soir même du second tour de l’élection présidentielle, le 28 mai 2000. Alberto Fujimori l’emportait avec 51,2 % des suffrages, en étant le seul candidat en lice, après le retrait du leader de l’opposition, Aléjandro Tolédo qui dénonçait ainsi, un degré de fraudes rarement atteint auparavant.
Personnalité énigmatique et inconnue du public, Alberto Fujimori, ingénieur, était élu à la présidence de la République en juin 1990. Devant les difficultés rencontrées au Parlement où il ne disposait d’aucune majorité, il décidait en avril 1992 de le dissoudre et de suspendre la Constitution. Un nouveau texte fondamental approuvé par référendum était promulgué en décembre 1993. Le premier mandat de Fujimori avait été marqué par les succès dans la lutte contre le terrorisme et par un redressement macro-économique. Réélu dès le premier tour en avril 1995, majoritaire au Congrès, il devait poursuivre la libéralisation de l’économie sans résoudre pour autant les problèmes sociaux, alors même que le pouvoir durcissait son maniement autoritaire de la gestion de l’État. Le plan d’ajustement conduit par Fujimori à partir de 1990 a permis la stabilisation macro-économique procurant une forte croissance (6 % en moyenne annuelle), un ralentissement de l’inflation, et des réformes structurelles (87 entreprises privatisées). En 1998, la conjoncture avait été peu favorable, victime des effets conjugués d’El Nino, des crises asiatique et brésilienne, de la chute des cours des matières premières, le tout associé à une croissance faible (+0,7 %). En 1999, la croissance a rebondi, tirée par les exportations des produits agricoles, de la pêche et de la mine.
Mais la demande intérieure est restée faible, les disparités sociales toujours aussi criantes : 50 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté, 15 % avec moins d’un dollar par jour, le taux de chômage s’élevant à 17 %. Le déficit public a dérapé, 2,86 % du PIB contre 1 % les années précédentes.
Les élections législatives et présidentielle du 9 avril 2000 ont été marquées par des fraudes dénoncées par plusieurs missions d’observation internationale comme celle de l’Organisation des États américains. La fraude la plus spectaculaire a porté sur la découverte d’une grande opération de falsification de signatures (1,4 million de fausses signatures) pour l’inscription du « Front indépendant Pérou 2000 », organisation partie de la coalition de l’ancien président Fujimori. Le scrutin lui-même a été entaché d’irrégularités (présence de l’armée dans certains bureaux de vote, nombre de votants supérieur à celui des inscrits, fraude informatique au moment de la transmission des résultats au système central).
Grâce à la pression de l’Union européenne et des États-Unis, la fraude n’a pas permis la réélection au premier tour d’Alberto Fujimori, qui, devancé par Aléjandro Tolédo à la clôture des bureaux de vote, s’était retrouvé en tête après l’annonce officielle des résultats avec 49,87 % des suffrages. Le retrait de Tolédo, le refus des autorités péruviennes d’accéder aux demandes de la mission d’observation de l’OEA qui avait souhaité un report du second tour afin de permettre « des changements substantiels » dans l’organisation de l’élection, devaient permettre à Fujimori de garder le pouvoir.
Corruption, fraude pendant les élections et plus grave encore, manipulation de la Constitution — après qu’une loi « d’interprétation authentique » eut été votée en 1996 permettant à Alberto Fujimori de contourner les dispositions de la Constitution qui ne prévoient qu’une seule réélection immédiate —, ont précipité la chute d’un homme et d’un régime qui n’avait plus aucune légitimité interne et souffrait d’un affaiblissement considérable de sa crédibilité internationale.
Quelques candidatures sont connues à l’instar de celle d’Aléjandro Tolédo, qui considère que sa victoire lui a été volée par Fujimori en 2000.
Quoi qu’il en soit, chacun des candidats essaiera de faire campagne, en cherchant à tourner la page Fujimori tout en reconnaissant que tous les éléments n’ont pas été négatifs : une sécurité interne retrouvée après le démantèlement des mouvements révolutionnaires Sentiers Lumineux et Tupac Amaru ; une stabilité économique certaine, l’inflation passant de plus de 7 500 % au début des années 90 à 3,7 % en 2000 ; une croissance du PIB de 3,8 % ; autant d’atouts dilapidés par une dérive autoritaire dans la pratique du pouvoir laissant de moins en moins de place à la démocratie.
Depuis, le gouvernement de transition nommé par le président par intérim, Valentin Paniagua ancien président du Congrès et conduit par l’ancien secrétaire général de l’Onu désormais Premier ministre, Javier Pérez de Cuellar, a pour tâche de préparer le retour à la démocratie tout en rassurant les milieux économiques et les investisseurs étrangers, alors même que le départ d’Alberto Fujimori s’était déroulé dans un climat de débandade politique de son propre camp.
Les interrogations sur les faits à l’origine de la chute d’Alberto Fujimori, les découvertes sur les profits obtenus par la complicité entre l’ancien président et son plus proche conseiller, Vladimiro Montésinos, ancien chef des services de renseignement, à l’origine du scandale politique après la divulgation d’une cassette vidéo le montrant en train de corrompre un parlementaire, devront certes trouver une réponse, la justice devant contre vents et marées faire son travail.
Cependant, ce processus s’inscrit dans une démarche beaucoup plus vaste, qui sans nul doute marquera l’esprit de la prochaine campagne présidentielle : parvenir à une réconciliation nationale, en établissant un projet politique, social et économique au service de tous les
Péruviens, réunissant les déçus du fujimorisme et les opposants à Alberto Fujimori. Pour Aléjandro Tolédo, cette réconciliation nationale passe par la création d’une commission de la vérité chargée d’enquêter sur les dérives du pouvoir d’Alberto Fujimori et de son allié, Vladimiro Montésinos.
Pour tous, il va s’agir de s’atteler à une politique qui exclut un esprit de revanche, mais offre bien un projet social crédible à une population dont la moitié, habituée aux promesses électoralistes, vit dans des conditions sociales insupportables. ♦