Les Balkans - La guerre du Kosovo : Comment s'en sortir ? (recueil d'exposés)
Un forum consacré aux Balkans et aux enseignements à tirer des événements qui ont conduit à l’occupation du Kosovo par les forces de l’Otan s’est déroulé au Sénat le 29 novembre 1999 sous la présidence de M. Alain Bournazel président d’Action pour une Confédération paneuropéenne. Vingt personnalités y ont pris la parole : le sénateur Bernard Seillier, l’ambassadeur Pierre Maillard, les généraux Pierre-Marie Gallois, Éric de La Maisonneuve, Claude Le Borgne et Henri Paris, les universitaires Jean-Paul Bled, Roberto de Mattei et Christophe Réveillard, les journalistes Éric Branca, Jean-Christophe Buisson, Kosta Christitch et Louis Dalmas, les écrivains Vladimir Volkoff, Komnen Becirovic et Roland Hureaux et les spécialistes de géopolitique Christian Méric (colonel e.r.), Aymeric Chauprade et Alexandre Del Valle.
L’importance du thème dont il fut débattu au cours de ce forum est évidente. Le nombre des participants et la connaissance que chacun d’eux avait de ce sujet dans son domaine d’expérience confèrent au rapprochement de leurs propos un intérêt certain. Nous allons en donner une courte synthèse qui sera imparfaite, car les exposés ont souvent été très denses et riches en informations très précises.
Les enseignements majeurs que l’on peut tirer de ce forum sont les suivants.
Ce que l’on a appelé, à tort, la guerre du Kosovo est un événement de grande portée politique internationale puisque l’on a pu dire que la date du début des bombardements de la Serbie, le 24 mars 1999, marque une évolution importante des relations internationales. C’est en effet une intervention sans mandat de l’Onu, et même en violation de sa charte, qui a été décidée par un groupe de dix-neuf pays qui se sont ligués pour soumettre la Serbie à leur volonté en usant de la force. Le principe de la souveraineté des États, la souveraineté de la Serbie en la circonstance, respecté jusqu’à cette date, a été écarté au nom d’un « droit d’ingérence » présenté comme supérieur et justifié par la défense des droits de l’homme violés par le pays attaqué.
Ce principe de défense des droits de l’homme a permis de donner une couverture morale à une intervention qui a révélé les insuffisances et les limites militaires et politiques de l’Union européenne et confirmé la prééminence des États-Unis déjà évidente lors des négociations de Rambouillet. Le nouveau rôle de l’Allemagne, depuis le vote du Bundestag autorisant l’envoi de troupes allemandes hors de ses frontières, et la place privilégiée qui lui est attribuée en Europe par les États-Unis furent soulignés par le rappel des paroles des présidents américains Bush en 1989 et Clinton en 1998.
Selon les intervenants, une grande opération médiatique a été conduite contre la Serbie par « la mise en scène d’une tragédie humaine » qui devait inévitablement pousser les opinions publiques à souhaiter que les responsables désignés de cette tragédie en soient légitimement punis. Cependant, militairement les opérations se limitèrent à des attaques aériennes effectuées à haute altitude et à distance de sécurité, la valeur combattante de l’armée serbe à terre ayant visiblement été redoutée. Les principaux objectifs de ces attaques, après destruction des installations de défense fixes telles que les bases aériennes et les usines d’armement, ont été ceux de l’infrastructure économique : la population civile est ainsi devenue la grande victime des bombardements.
La guerre du Kosovo a été un deuxième exemple d’application réussie du concept américain d’Information war expression dont la traduction juste est « guerre psychologique ». Le succès indéniable des actions de guerre psychologique menées contre l’Irak puis contre la Serbie est illustré par la poursuite des bombardements sur l’Irak dix ans après la fin officielle des opérations militaires. L’Irak ayant été définitivement diabolisé, il n’est plus besoin de justifier des actes de guerre qui sont désormais entrés dans l’ordre normal des choses.
Poussant à fond leurs analyses géopolitiques les conférenciers sont arrivés à la conclusion que les conséquences de la guerre du Kosovo illustrent une stratégie américaine planétaire visant : à maintenir l’Europe dans une situation de subordination que la faiblesse de ses capacités d’action, dans le domaine militaire notamment, a rendue évidente ; à mettre en relief le déclin politique international et européen de la Russie ; à établir une forte présence des États-Unis dans les Balkans qui deviennent avec la Turquie un relais de leur politique en Asie centrale riche en pétrole et en gaz qu’ils considèrent comme la zone stratégique la plus importante du monde ; enfin à promouvoir l’admission dans l’Union européenne de la Turquie ainsi associée comme l’Allemagne à leurs visées sur cette Eurasie qui est, selon Mackinder, le heartland commandant la maîtrise du monde.
En conclusion, ce recueil d’exposés mérite une grande attention, justifiée par la qualité des participants, leur large éventail de carrières et une notable indépendance d’esprit en notre temps ou la pensée unique domine. Les maladresses d’écriture que l’on déplorera sont les conséquences de la transcription d’exposés oraux qui ne favorisent pas la pureté de la rédaction ; elles n’altèrent pas l’intérêt que le lecteur trouvera à ce document qui pourra lui fournir des éléments de réflexion inédits et pouvant l’aider dans la compréhension du grave épisode balkanique de l’évolution des relations internationales. ♦