Guerres contre l'Europe, Bosnie-Kosovo-Tchétchénie...
Alexandre Del Valle ne veut pas qu’on l’accuse d’antiaméricanisme primaire. La précaution est utile car la thèse est claire : l’Amérique est en guerre, et contre l’Europe. Dans cette guerre, l’islam est son allié ; où l’on retrouve son premier livre, Islamisme et États-Unis, une alliance contre l’Europe (1).
L’auteur fait grand cas de la géopolitique, discipline dangereuse mise en vogue par l’Anglais Mackinder et l’Américain Spykman. Les vastes théories de ces deux pontifes, au demeurant contradictoires, sur le Heartland et le Rimland, peuvent être accommodées à toutes les sauces, à condition d’être cuites au même feu, celui de la politique de puissance. Que celle-ci soit, dans le monde d’aujourd’hui, périmée, c’est ce que beaucoup pensent. Pas Del Valle, pour qui elle reste le fondement de la stratégie américaine, « stratégie totale ». Nous voici au cœur d’un « indécidable », où l’auteur tranche un peu vite, affirmant que « la volonté de puissance impériale des gouvernants américains se dissimule habilement derrière le masque des arguments moraux ». M. Brzezinski, qu’il cite souvent, parle de « nation indispensable à la planète », notation plus subtile, et Robert Kagan « d’hégémonie bienveillante ». Au moins devrait-on s’accorder sur la nouveauté de ladite hégémonie et la difficulté qu’il y a à la définir.
Passons, avec l’auteur, de l’Amérique à l’islamisme, second ennemi de l’Europe, et celui-ci plus franc. C’est de guerre civilisationnelle dont il faut parler ici, à la façon de M. Huntington. Elle se livre au Caucase, sur fond d’oléoducs, mais aussi aux Balkans où se dessine, de la Thrace à la Bosnie, une « diagonale verte », annonçant une « confédération islamique néo-ottomane ». Pourquoi pas ? Le stratège se doit de voir les choses en noir… ou en vert. On hésitera pourtant à suivre l’ami Alexandre lorsqu’il décèle là-dessous la main de Washington (comme on disait la main de Moscou).
Les Balkans, selon l’auteur, fournissent aux États-Unis le champ rêvé pour leurs sombres desseins. Casser la Serbie au prétexte du Kosovo, c’est faire d’une pierre deux coups, ou trois : affaiblir l’Europe, isoler la Russie, créer les conditions d’un nouveau plan Marshall (le premier, si l’on comprend bien, ayant marqué le début de la vassalisation de l’Europe). Del Valle, alors, s’engage dans la défense des Serbes et la critique de la « guerre » du Kosovo, sur quoi il est bien informé. Dans le concert antiserbe dont nos oreilles sont rebattues, il est rafraîchissant d’entendre un autre son de cloche. On ne peut, en effet, que constater le succès de la stratégie de l’UCK, selon le cycle désormais classique provocation, répression (serbe), internationalisation. On appréciera aussi le chapitre, bien titré, « Comment Washington fit échouer les négociations de Rambouillet ». Quant à soutenir que les buts de guerre américains étaient l’exode des Kosovars albanais et la destruction de la Serbie, mais qu’il importait d’épargner Milosevic, « dictateur épouvantail utile », c’est aller vite en besogne.
Du tableau inquiétant qu’il a brossé, on attend qu’Alexandre Del Valle tire les conclusions. C’est ce qu’il fait, proposant une grande Europe confédérale du Portugal au détroit de Béring. Paraphrasant le titre de l’ouvrage de Benjamin Barber, Jihad versus McWorld, il y voit le moyen de résister aux deux menaces. Soyons plus pessimistes que lui : l’Europe chrétienne qu’il imagine, dressée face à l’islam, est mal partie ; n’est-elle pas déjà « macworldisée » ?
(1) L’Âge d’Homme, 1997. Voir Défense Nationale, mai 1998.