Afrique - Partenariat ACP-UE : le nouvel accord de Cotonou
Le nouvel accord de partenariat ACP-UE, appelé à régir pour les vingt prochaines années les relations entre l’Union européenne (15 pays) et les États d’Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP-71 pays), a été solennellement signé à Cotonou, capitale du Bénin, le 23 juin 2000.
La conclusion de cet accord est l’aboutissement d’un long cycle de négociations commencé en 1996, date de la publication du Livre vert de la Commission sur l’avenir des relations entre l’Union européenne et les États ACP. L’accord de Cotonou se fonde sur l’acquis des vingt-cinq dernières années d’expérience des conventions de Lomé (1975 : Lomé I, 1980 : Lomé II, 1985 : Lomé III, 1990 : Lomé IV, 1995 : Lomé IV bis). De fait, ces conventions ont constitué un modèle original dans les relations Nord-Sud, combinant un régime négocié de préférences commerciales avec des aides importantes. Leurs résultats ont cependant été mitigés. Les évaluations de l’aide de la Communauté aux pays ACP ont souvent montré l’insuffisante prise en compte de l’environnement institutionnel et politique de chacun des pays partenaires, ce qui a souvent limité la viabilité et l’efficacité de la coopération. Les préférences commerciales se sont révélées aussi décevantes. Elles ont certes contribué au succès commercial de certains pays, mais globalement elles n’ont pas empêché une diminution de la part des pays ACP sur le marché européen, qui est ainsi passée de 6,7 % en 1976 à 2,8 % en 1998. Environ 60 % des exportations totales demeurent concentrées sur dix produits seulement, exportés bruts ou semi-finis.
Si la prévisibilité et le caractère contractuel des conventions de Lomé constituaient des acquis à préserver, la nécessité de s’adapter aux évolutions internationales et régionales était également évidente. L’accroissement de la pauvreté dans de nombreux pays, les évolutions démographiques et les pressions environnementales appellent une remise en question des objectifs et de la pratique de la coopération. La multiplication des investissements directs privés vers les pays en développement, enregistrée au cours des quinze dernières années, n’a pas bénéficié à la majorité des pays ACP.
Compte tenu de ces remarques, l’accord de Cotonou apporte plusieurs innovations qui peuvent être analysées par les objectifs, les moyens et la nature du partenariat.
Les objectifs
Les différentes parties contractantes se sont accordées sur la conception d’une stratégie globale et commune, centrée sur l’objectif de réduire la pauvreté, voire de l’éradiquer, en cohérence avec les objectifs du développement durable et de l’intégration progressive des ACP dans l’économie mondiale. L’accord définit un cadre stratégique général, se référant aux engagements internationaux des parties et prenant simultanément en compte les composantes politiques, économiques, sociales, culturelles et environnementales du développement. Par contraste avec les conventions précédentes, le nouvel accord propose une stratégie globale de développement qui requiert de la Communauté, des États membres et des partenaires ACP un effort concerté pour l’élaboration d’un cadre de coopération intégré et opérationnel, comportant des indicateurs qualitatifs et quantitatifs qui permettront d’en évaluer systématiquement les résultats. La démarche retenue traduit la complexité et le caractère multidimensionnel de la pauvreté. Elle met l’accent sur trois domaines prioritaires de la coopération : le développement économique, le développement social et humain, l’intégration et la coopération régionales. Dans chacun d’eux, trois questions transversales seront systématiquement prises en compte : l’égalité entre les hommes et les femmes, la gestion durable de l’environnement et des ressources naturelles, le développement institutionnel et le renforcement des capacités. Les priorités seront établies pays par pays, et en appliquant le principe de concertation, qui est désormais un élément clé de la coopération. Enfin, pour faciliter l’application de ces stratégies de développement, il sera effectué la mise à jour annuelle d’un compendium de textes de référence (ou procédures de mise en œuvre de l’assistance financière figurant dans les annexes) permettant d’ouvrir le partenariat aux meilleures pratiques du développement.
Les moyens
La stratégie de coopération, sur laquelle les parties se sont entendues, associe aide au développement et conception d’un cadre politique favorable au développement commercial et aux investissements.
Dans la convention de Lomé, la coopération commerciale avait essentiellement pris la forme de tarifs douaniers préférentiels. Dorénavant, la coopération économique et commerciale consistera en un ensemble plus complet de modalités. L’UE et les États ACP se sont entendus sur une démarche visant à établir de nouveaux accords commerciaux, à partir de septembre 2002, et qui entreront en vigueur à partir du 1er janvier 2008. Ils conduiront à la libéralisation des échanges entre parties et incluront une coopération dans les domaines liés au commerce tels que la politique de la concurrence, la protection des droits de la propriété intellectuelle, la normalisation et la certification, les mesures sanitaires et phytosanitaires, le commerce et l’environnement, le commerce et les normes du travail, la politique des consommateurs. L’accord de Cotonou comporte également des dispositions pour une coopération ACP-UE dans les enceintes internationales. Dans l’intervalle, les préférences non réciproques actuelles ainsi que le régime applicable aux différents protocoles seront maintenus.
En prenant appui et en favorisant l’accélération des initiatives d’intégration régionale en cours dans les pays ACP, le nouveau cadre commercial a pour ambition d’aider ces derniers à s’insérer harmonieusement et graduellement dans l’économie mondiale, d’accroître la production, l’offre et la compétitivité de leurs produits, ainsi que d’attirer les investissements en assurant la conformité avec les dispositions de l’OMC tout en tenant compte des niveaux de développement respectifs.
Par souci d’efficacité, de souplesse et de cohérence, l’accord de Cotonou ne prévoit plus que deux instruments financiers au titre du Fonds européen de développement (FED) : d’une part celui destiné à l’octroi des subventions pour le soutien au développement à long terme, d’autre part une facilité d’investissement pour la promotion du secteur privé dans les pays ACP, appelé à remplacer le mécanisme actuel de financement des capitaux à risques et de bonifications d’intérêts. Le système de programmation est également modifié. L’allocation des ressources aux pays ACP est désormais fondée non seulement sur leurs besoins, mais aussi sur leurs performances. Par ailleurs, le caractère indicatif de la programmation se trouve renforcé (programmation glissante), en ce sens que les ressources affectées à un pays ne lui sont plus définitivement acquises : elles peuvent augmenter, ou au contraire, baisser en fonction des résultats que mettront en lumière des évaluations périodiques conjointes. L’accord reconnaît enfin la nécessité d’accroître le rythme de consommation des ressources financières pour éviter le cumul d’importants reliquats qui freinent le réajustement à la hausse du FED. Il prévoit pour cela une simplification des procédures de gestion ainsi qu’une plus grande déconcentration des responsabilités de la Commission européenne vers d’une part ses délégués dans les pays ACP, et d’autre part les ordonnateurs nationaux du FED.
La nature du partenariat
Le dialogue politique régulier devrait favoriser la cohérence et la pertinence des stratégies de coopération ACP-UE et permettre d’aborder toutes les questions qui préoccupent l’un ou l’autre partenaire. Des thèmes importants tels que les politiques de consolidation de la paix et de prévention des conflits, ou les migrations, ont été explicitement introduits dans le nouvel accord. Le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’état de droit, la bonne gestion des affaires publiques feront l’objet d’un dialogue régulier auquel seront associés les organisations régionales, sous-régionales et les représentants de la société civile. L’Assemblée parlementaire paritaire est appelée à jouer un rôle particulièrement important dans ces domaines. De nouvelles procédures de consultation sont prévues dans les cas de violation des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’état de droit, ou dans les cas graves de corruption.
Les dispositions générales visant à promouvoir la participation de la société civile et des acteurs économiques et sociaux mettent l’accent sur le besoin d’information, l’appui au renforcement des capacités, le principe de la consultation des acteurs non-gouvernementaux sur les réformes et les politiques économiques, sociales, institutionnelles qui feront l’objet d’un soutien de la Communauté, la participation des acteurs non étatiques à la mise en œuvre des programmes et des projets, ainsi que la mise en réseau et le renforcement des liens entre les acteurs des pays ACP et ceux de l’UE.
En définitive, le nouvel accord de Cotonou est résolument tourné vers l’avenir et demande aux pays ACP de réels efforts, en particulier celui de s’adapter aux évolutions du monde actuel. Collectivement pour le groupe ou individuellement, chaque pays doit véritablement s’engager et saisir cette chance qui se présente à lui. Dans ce sens, le défi de la ratification immédiate et de l’entrée en vigueur rapide de cet accord reste donc primordial. La symbolique de la jarre de la solidarité utilisée par le pays organisateur illustre cette dynamique unitaire et la nécessaire solidarité qui sera plus que jamais indispensable à la réussite de ce nouveau partenariat : « Si chacun venait boucher de son doigt, un trou de jarre percée, l’eau ne s’écoulerait plus » (1). ♦
(1) Empruntée à Ghézo, ancien roi du Dahomey (Bénin).