Amérique - Le Salvador, de l'urgence humanitaire à la nécessaire reconstruction
Le séisme qui a frappé le Salvador le 13 janvier dernier, a plongé ce pays d’Amérique centrale dans le deuil et la douleur : plus de 750 morts, 4 440 blessés, 63 195 constructions totalement détruites et 118 157 l’étant partiellement, 573 609 sinistrés (1), autant de chiffres qui témoignent de l’ampleur du désastre. La communauté internationale a immédiatement réagi : la France, l’Espagne, le Mexique, la Colombie, les États-Unis, se sont manifestés en envoyant sur place des médicaments, des équipes spécialisées de sauveteurs.
L’ampleur de ce séisme inquiète beaucoup le gouvernement et la population. Il est trop tôt pour en mesurer toutes les conséquences économiques et sociales, mais, il semble évident que le Salvador va connaître dans les prochains mois un fort ralentissement de son économie alors même qu’il avait relevé le défi de la « dollarisation » qui était le signe d’une stabilité politique acquise depuis les accords de paix de 1992, et d’une bonne gestion macro-économique, malgré certaines déficiences structurelles.
La signature des accords de Chapultépec le 16 janvier 1992 a mis un terme définitif à une guerre civile qui opposait, depuis 1980, le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) et le gouvernement salvadorien.
La volonté d’établir un nouveau contrat social guidait les auteurs de ce texte fondamental en posant le principe d’un retour à la paix et à la réconciliation. L’armée voyait ses effectifs réduits de 50 %, passant de 60 000 à 30 000 hommes. Ses bataillons de « contre-insurrection » ainsi que les organismes chargés de la sécurité publique (la garde nationale, la police nationale) étaient dissous. Ces derniers ont cédé la place à une police nationale civile (PNC) qui peine, depuis sa création, à établir une sécurité réelle. Le FMLN avait pour sa part, l’obligation de démanteler ses structures militaires et de rendre à la vie civile ses troupes, à charge pour l’État de les aider à se réintégrer dans le tissu social salvadorien. Le FMLN est devenu un parti politique légal, présentant des candidats aux élections présidentielles de 1994 et de 1999, ainsi qu’aux élections législatives et municipales. La capitale, San Salvador, par exemple, est dirigée depuis 1997 par Hector Silva, membre du FMLN. Pour superviser l’application des dispositions des accords de Chapultépec, une force des Nations unies, Onusal était présente au Salvador jusqu’en 1995. Une commission de la vérité a été créée, avec pour mission d’enquêter sur les actes de violence extrême intervenus pendant les années de guerre.
L’accession au pouvoir d’Armando Caldéron Sol en juin 1994, élu devant un candidat du FMLN, clôturait cette période de retour à la paix et ouvrait celle de la reconstruction du pays.
La situation macro-économique du Salvador est satisfaisante : la faiblesse de la dette, sa bonne réputation dans les marchés internationaux permettent au Salvador de bénéficier de bonnes notations en matière de risque souverain. Certes, le coût de la guerre civile évalué à plus d’un milliard et demi de dollars tout comme celui de l’après-cyclone Mitch (octobre 1998) ont pesé sur la balance commerciale et sur les comptes publics. Néanmoins, les réformes structurelles et une politique monétaire rigoureuse ont permis de stabiliser l’économie.
Quelques chiffres en témoignent :
– la croissance reste soutenue, atteignant une moyenne de 7 % de 1992 à 1996, pour représenter 4,1 % en 1997, 3,2 % en 1998, 3,4 en 1999 et 2,5 % en 2000.
– l’inflation a connu une diminution régulière. Elle était de 0,6 % en 1999 et de 2,5 % en 2000. Ces bons résultats sont le résultat d’une politique monétaire restrictive et d’un ancrage fixe du colon (monnaie locale) au dollar.
– le compte courant n’est que peu déficitaire. L’apport de capitaux étrangers notamment celui correspondant au transfert des Salvadoriens vivant aux États-Unis (1,5 million de personnes), appelés remesas, est évalué à plus d’1,5 milliard de dollars par an, soit 12 % du PIB, et renforce ce processus.
– la dette extérieure reste faible. Elle représente 21,5 % du PIB et son service, 9 % des exportations (2,5 % du PIB). Le Salvador n’avait d’ailleurs pas demandé d’aménagement de sa dette après le cyclone Mitch.
Bien évidemment, cette bonne situation macro-économique ne doit pas masquer la persistance de défaillances structurelles : 13 % de la population est analphabète ; la pression fiscale reste faible (11 % du PIB) alors même que les augmentations salariales dans la fonction publique et le coût de la réforme des retraites obligent l’État à procéder à des coupes dans les investissements publics. Pourtant, l’indispensable réforme sociale et éducative contraint l’État à procéder à un accroissement fiscal prévu dans le « Plan du gouvernement » présenté en 2000 par le président Francisco Florès, élu à la tête de l’État en 1999.
Enfin, la criminalité endémique reste le problème majeur, avec un taux de 120 homicides pour 100 000 habitants, ce qui renforce le sentiment d’inefficacité de l’État devant une délinquance récurrente.
Le Salvador représente 60 % du commerce centraméricain. Cette réalité explique en partie son rôle moteur d’intégration économique régionale.
Le système d’intégration centraméricaine, SICA, a son siège à San Salvador. Il est actuellement dirigé par Oscar Santamaria, ancien ministre des Affaires étrangères du Salvador. Il constitue un axe important de la politique étrangère de ce pays, qui entend développer son économie en attirant les capitaux étrangers. La diversification des relations sur la scène internationale, notamment vers l’Union européenne et l’Asie (Taiwan, le Japon et la Corée du Sud), offre un complément aux échanges naturellement étroits avec les États-Unis. Le Salvador bénéficie des avantages de l’Initiative pour les Caraïbes avec les États-Unis, à savoir la suppression des droits de douane sur les exportations de textile, tandis qu’il participe au traité de libre commerce avec le Mexique. Enfin, il a accès au marché européen en franchise de droit, pour tous les produits couverts par le système de préférences généralisées communautaires, destiné à encourager la lutte contre la production et le trafic de stupéfiants. Les relations avec l’Union européenne sont conformes aux accords de San José signés en 1984 afin de promouvoir le dialogue politique, complétés par les accords du Luxembourg de 1985 qui établissent les fondements de la coopération économique.
Cet environnement explique la « dollarisation » de l’économie salvadorienne, effective depuis le 1er janvier 2001. La loi sur « l’intégration monétaire » votée en fin d’année 2000, officialise « l’accrochage » du colon au dollar et impose l’utilisation du dollar pour les transactions financières. Elle vise à diminuer encore plus le risque-pays, et à faire baisser les taux d’intérêt à court terme pour engager une relance de la demande interne. Enfin, il est attendu de cette mesure monétaire une augmentation des entrées de capitaux étrangers, comme ceux issus de la communauté expatriée.
Le succès de cette mesure économique repose en grande partie sur la confiance que les investisseurs peuvent avoir à l’égard du Salvador.
C’est la raison pour laquelle le séisme du 13 janvier 2001 a des conséquences extrêmement graves sur l’économie salvadorienne. Après l’urgence, l’heure de la reconstruction interviendra une nouvelle fois. Cependant, le niveau des destructions sur tout le territoire national peut inquiéter les investisseurs, en leur rappelant que ce pays et la région centraméricaine en général, constituent une partie du monde considérée comme des plus instables, et comportant de gros risques sismiques.
Le succès de l’opération monétaire reposait sur le développement de l’appareil productif déjà existant. Or, le Salvador doit, désormais, réorienter les investissements programmés dans le « Plan de gouvernement » annoncé en 2000, vers l’aide aux populations démunies et aux victimes de la catastrophe naturelle.
Autant dire que le Salvador aura besoin de la communauté internationale et de ses institutions financières pour se relever du drame qui l’a frappé en janvier 2001. ♦
(1) Chiffres en date du 25 janvier 2001.