Les Belges
La dernière phrase du livre sonne comme un reproche. L’auteur y déplore que les Français, pour la plupart, n’aient aucune envie de mieux connaître la Belgique. Notre voisine, pourtant, est de beaucoup la collectivité nationale la plus proche de la nôtre, à la fois par les épreuves traversées ensemble, par le partage de la même langue, par les liens tissés dès les débuts de l’Europe des Six, par des nécessités de défense comparables, par, en un mot, toute une gamme d’affinités.
Didier Pavy est un des meilleurs connaisseurs de la Belgique, où il assure la correspondance permanente du Nouvel Observateur. Son livre, sans concession ni faux-fuyant mais aussi plein de sympathie pour le peuple dont il décrit l’histoire et explique la psychologie, peut servir d’utile référence pour ceux qui souhaitent en savoir davantage sur nos partenaires. C’est l’œuvre d’un journaliste, remplie d’anecdotes, de rappels de faits divers et de récits détaillés d’événements, qui donnent vie et densité au texte, au risque, parfois, de l’alourdir.
La Belgique, dit-il, est née non pas, comme on le dit couramment, de la volonté de tierces puissances désireuses de créer une entité inoffensive dans une région de grande valeur stratégique, mais bien du formatage, beaucoup plus tôt, de sa population par les séquelles des guerres de religion. C’est de là, d’après lui, que remonte la vraie homogénéité d’une nation rassemblée, à l’écart des Pays-Bas, dans une unité de croyance propre à consolider le pouvoir fédérateur de la hiérarchie catholique.
Dans cette partie de la Lotharingie, où le commerce voulait ses aises et où les querelles dynastiques ne suscitaient aucune exaltation, les bourgeois des grandes villes désiraient se maintenir autant que possible en dehors des querelles des monarques tout en faisant progresser les franchises municipales, assises de leur prospérité. Dans ces centres urbains qui se plaçaient en tête de ceux d’Europe pour la richesse et pour le rayonnement culturel, une profonde tendance anticentralisatrice, dirigée à la fois contre les puissants royaumes voisins et contre le pouvoir de Bruxelles, ne cessait de se développer. Le sentiment collectif, trait d’union entre toutes les communautés, porte encore la trace de ce passé prestigieux et isolationniste : « les Wallons d’aujourd’hui sont des Lotharingiens de race romane et les Flamands des Lotharingiens de langue germanique ».
M. Pavy pose une question fondamentale : la Belgique, où cohabitent diverses communautés tributaires d’un système compliqué d’équilibres et de contrepoids, demeure-t-elle un fragile anachronisme ou bien, au contraire, devient-elle le prototype d’un compromis partout nécessaire entre les aspirations de communautés jalouses de leur identité et les attributs d’un État amaigri et guetté par l’impotence, sans oublier l’interférence de contraintes engendrées par la construction de l’Europe ? Il penche pour la deuxième hypothèse, en justifiant son choix par des arguments de valeur inégale. « La vieille culture principautaire des Belges ne pourrait que leur permettre, une fois encore, de s’adapter sans trop de difficulté à cette évolution, si elle devait se confirmer ».
Une culture « principautaire » ? Adaptée à notre temps, à notre pays peut-être ? Paradoxe sans doute, mais que l’auteur a l’air d’avaliser quand il rappelle que le responsable de notre direction à l’aménagement du territoire, Jean-Louis Guigou, a travaillé sur des scénarios de remodelage de nos structures administratives leur donnant la taille et les contours des provinces existant avant la Révolution. Est-ce donc là une nouvelle illustration du thème de l’éternel retour, cette fois-ci vers l’Ancien régime, par le biais d’une modernité qui se lasse de l’État jacobin et veut changer les découpages de notre première République ? ♦