Techniques du terrorisme
Jean-Luc Marret est docteur en science politique et chargé de cours aux universités de Paris XIII et Marne-la-Vallée. Il nous propose une analyse circonstanciée sur les techniques et les conséquences d’un fait de société qui traumatise de plus en plus notre civilisation contemporaine. Le terrorisme est en effet devenu un phénomène inquiétant auquel se trouvent confrontés de nombreux gouvernements qui apparaissent bien souvent démunis pour combattre ce fléau. L’ouvrage de Jean-Luc Marret entre dans la collection « Défense et défis nouveaux » que dirige Xavier Raufer, responsable de cours à l’institut de criminologie de Paris et chargé de la diffusion des études produites par le laboratoire Minos (Menaces internationales nouvelles d’ordre stratégique).
Pour l’auteur, les activités terroristes se réduisent à trois types. Tout d’abord, les actions contre les biens (destructions par explosifs de bâtiments, de complexes économiques, d’avions, de véhicules, etc.). En Colombie, l’ELN (Armée de libération nationale) a ainsi pour stratégie de s’attaquer aux installations pétrolières et aux firmes étrangères implantées dans le pays. L’oléoduc Cano Limon-Covenas a ainsi été dynamité plus de 400 fois ! Le second type concerne les actions contre les personnes qui se traduisent soit par des atteintes à leur liberté (enlèvements, séquestrations, prises d’otages individuelles ou collectives), soit par des dommages à leur intégrité physique (assassinats). Entre ces deux sortes de forfaits existe toute une variété d’opérations qui frappent à la fois les personnes et les biens matériels.
C’est dans cette troisième catégorie que se situe l’action de la secte Aum qui constitue « le premier véritable cas d’utilisation d’agents chimiques par des terroristes ». En mars 1995, plusieurs groupuscules de la nébuleuse japonaise répandirent dans le métro de Tokyo du gaz sarin. Il y eut 12 morts et plus de 5 000 blessés. Cette attaque chimique sans précédent a bouleversé de nombreux autres pays qui se sont aussitôt lancés dans des études relatives à des opérations terroristes de ce genre dans les milieux confinés. Le métro parisien a notamment fait l’objet d’une analyse détaillée qui a mis en lumière un constat effarant : on ne peut pas maîtriser les flux d’air circulant dans les parties souterraines du réseau. En conséquence, si un terroriste dispersait une substance radioactive par l’intermédiaire du réseau de ventilation (entrée d’air accessible sur la voie publique) ou à l’intérieur du réseau par un aérosol, la contamination serait rapide. La seule parade serait dès lors de procéder à l’arrêt total des trains et à l’évacuation des voyageurs. Hormis la secte Aum, certains miliciens fanatiques des États-Unis ont également tenté d’utiliser (sans succès) l’arme biologique. On touche ici au problème effroyable du « bioterrorisme » dont tous les tréfonds n’ont pas encore été explorés.
Les organisations terroristes sont fréquemment présentées comme de simples groupes d’idéologues, de psychopathes ou d’ennemis de la société et parfois comme tout cela en même temps. Dans la pratique, elles font souvent preuve d’un très grand professionnalisme. Pour mener à bien leurs opérations, et éventuellement pour rester en vie, les terroristes doivent en effet utiliser des connaissances sûres et réagir d’une façon sereine au danger et à l’imprévu. Les mouvements terroristes les plus dangereux possèdent ainsi de véritables centres de formation. D’après l’auteur, de tels camps d’entraînement ont été répertoriés dans de nombreux États (Iran, Libye, Soudan, Syrie, Yémen, Irak, et plus récemment Pakistan). La direction d’un groupe terroriste est parfois implantée à l’étranger dans le but de se soustraire à une éventuelle surveillance des services de police et de renseignement de l’État cible. Sur ce chapitre, Jean-Luc Marret cite l’exemple de l’Asala (Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie) qui reste le type d’organisation transnationale : la direction politico-logistique était à Athènes, la direction militaire à Beyrouth avec des sites d’entraînement dans la vallée de la Bekaa et le principal bureau de liaison à Damas.
De nos jours, les prises d’otages ont pris une dimension nouvelle en raison de la couverture médiatique dont elles sont l’objet. Les membres des organisations humanitaires, les touristes et les journalistes sont souvent des proies recherchées. Les États qui ont sur leur territoire des mouvements séparatistes ou des factions de guérilla souffrent le plus de cette calamité : Colombie, Russie (Caucase), Sierra Leone, Sénégal (Casamance), Angola, Yémen, Somalie, Tadjikistan, Philippines (Jolo), etc. En Tchétchénie, les groupes de preneurs d’otages ont tellement gagné d’argent avec les rançons que cette activité a suscité de nombreuses « vocations » dans un pays par ailleurs anarchique et ruiné. Cette situation s’explique donc par des raisons économiques mais aussi par le clanisme qui structure la société tchétchène et par « des facteurs anti-occidentaux » d’inspiration islamiste tentant de faire évoluer le territoire dans un sens conforme à une doctrine intégriste. En outre, certains rapts ont été organisés par des factions en provenance d’Ingouchie, du Daghestan et d’Ossétie, avec la médiation et le rachat des otages par les mafias locales. L’argent reste finalement la motivation principale de cette « industrie » particulièrement lucrative. Le douloureux problème qui se pose alors pour les États de droit confrontés à ce genre de conjoncture est celui de la négociation. C’est précisément sur ce sujet épineux qu’apparaît le point faible des démocraties pour lesquelles les vies humaines de leurs ressortissants sont considérées comme des valeurs suprêmes. La négociation avec des hors-la-loi reste pourtant un point de passage obligé. Le processus présente au moins un avantage : pendant qu’il se déroule, les terroristes ne tuent pas. Négocier pour gagner du temps est ainsi la ligne de conduite qu’adoptent la plupart des gouvernements.
L’effet médiatique est le dernier chapitre abordé par l’auteur. Pour ce sujet controversé, il est clair que certains médias des États de droit se comportent en alliés objectifs des terroristes. Jean-Luc Marret parle même de « symbiose entre ces deux mondes ». Certains journalistes ne cherchant que le fait brut, « méprisant les réserves morales et tentant de battre les concurrents sur le fil, tombent dans l’illusion de l’interprétation immédiate ». Ils assurent ainsi, bien qu’ils s’en défendent, « la promotion du terrorisme » et peuvent donc gêner les négociations d’un gouvernement qui, face au discours violent de factions exaltées, est contraint de s’engager dans une logique de « contre-communication ». Cette logique est indispensable et nécessite un certain savoir-faire de la part des diplomates. Car le terrorisme est un phénomène durable. Il représente une terrible nuisance dont les répercussions dans les esprits peuvent être particulièrement graves. ♦