L'honneur du guerrier : guerre ethnique et conscience moderne
Dix ans après la chute du mur de Berlin et l’effondrement du communisme en Europe de l’Est, l’euphorie et l’espoir d’une paix mondiale et d’une humanité réconciliée se sont effacés dans les méandres d’un grand désordre international. Les guerres civiles et les conflits interethniques se multiplient dans de nombreux points chauds de la planète. Pour faire face à cette nouvelle situation d’instabilité, les démocraties occidentales ont placé le fameux « devoir d’ingérence » au centre de leur politique étrangère. Dans un essai provocateur, Michael Ignatieff se penche sur la véritable signification et la portée réelle de ce nouvel engagement moral. L’analyse de cet auteur canadien qui réside en Angleterre s’appuie sur des observations effectuées à l’occasion de voyages dans des zones déchirées par des affrontements (ex-Yougoslavie, Afghanistan, Rwanda, Angola, Irlande du Nord, etc.).
Le chapitre consacré au rôle de la Croix-Rouge est certainement le plus intéressant. L’auteur y rappelle la genèse de celle-ci et la création en février 1863 d’un comité de cinq notables genevois, le noyau qui donnera naissance au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), chargé de la propagation des idées de Dunant.
L’idée de « civiliser l’art de guerre » est donc apparue dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec la création de la Croix-Rouge. Depuis cette époque, un nouveau code d’honneur du guerrier a été établi. Ce principe de valeurs humaines déclare que là où l’art de la guerre est pratiqué, les soldats doivent faire la distinction entre les combattants et les non-combattants, entre « les cibles légitimes et illégitimes, entre le matériel de guerre moral et immoral, entre les usages civilisés et barbares dans le traitement des prisonniers et des blessés ». Aujourd’hui, la neutralité demeure l’élément essentiel des règles morales du CICR. Le code d’éthique est simple : rejoindre les victimes là où elles sont et enseigner aux guerriers « à combattre selon les règles ».
La doctrine de neutralité est cependant devenue de plus en plus controversée depuis que la nouvelle politique des droits de l’homme s’est imposée. En 1948, l’Assemblée générale de Nations unies adopta la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui mettait en relief dans son premier article cette sacro-sainte maxime : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Selon l’auteur, quel que soit le sens que l’on donne au mot « fraternité », il ne peut inclure le fait de faire la guerre. La tradition moderne des droits de l’homme voit la guerre comme une violation morale, et, entre le fauteur de guerre et sa victime, les protagonistes des droits de l’homme ne peuvent s’en tenir à une stricte neutralité.
Les autres parties de l’ouvrage présentent un intérêt moindre. Emporté par une passion incontrôlée, l’essayiste ressasse des récriminations, souvent simplistes, à l’encontre de l’attitude des Occidentaux dans les conflits actuels. Il reproche notamment aux Européens de ne pas avoir engagé d’opérations militaires contre les Serbes au moment des guerres d’indépendance de la Croatie et de la Bosnie. Sur ce débat épineux, Michael Ignatieff rejoint le camp de certains intellectuels qui réclamaient à cor et à cri une intervention terrestre armée contre le régime de Milosevic. On pourra ne pas suivre dans cette direction l’auteur auquel semblent manquer l’expérience, les qualités d’analyse de l’historien ou de l’homme de terrain, malgré des voyages sur place. ♦