Amérique - L'Argentine : un foyer de crise économique sous contrôle ?
Au début des années 90, le vaste plan économique, passé à la postérité sous le nom de « Plan Cavallo » du nom du ministre de l’Économie de l’époque, Domingo Cavallo, était fondé sur une politique monétaire stricte, caractérisée par une parité entre le peso et le dollar. Ce plan a offert à l’Argentine, jusqu’en 1998, une croissance économique et une stabilité monétaire inédites. Ce pays en terminait ainsi avec une inflation record. Le « Plan Cavallo » était accompagné de réformes structurelles importantes (privatisations, déréglementation, ouverture commerciale) ; 99 % des dettes publiques, 65 % des dettes privées étaient libellées en dollars.
Depuis 1998, l’Argentine connaît une situation économique et sociale plus délicate : confrontée à un besoin de financement élevé (23 % du PIB) et à un mauvais ratio service de la dette extérieure sur recettes d’exportation, ce pays a connu une récession en 1999 (- 3,4 %) et une croissance de seulement 0,5 % en 2000. Les chiffres des années précédentes paraissent malheureusement bien lointains : + 5,5 % en 1996 ; + 8,1 % en 1997 ; + 3,9 % en 1998.
La baisse des prix des matières premières, la dévaluation du réal brésilien (1) (40 % depuis janvier 1999), ont accéléré la hausse du taux de chômage (15,4 % en 2000), l’insécurité, la précarité des plus démunis. Autant d’éléments qui expliquent le sentiment de désenchantement que paraissent connaître actuellement les Argentins.
Cette perception s’est produite à l’heure de l’alternance politique en 1999 : Fernando de la Rua, maire de Buenos Aires (parti radical, centre gauche) remporta l’élection présidentielle le 24 octobre devant le candidat du parti Justicialiste (droite, ex-péroniste) dont était issu le président sortant, Carlos Menem, au pouvoir depuis le 14 mai 1989.
Cette alternance a été rendue possible par la conjonction de plusieurs éléments :
• une hausse du chômage se traduisant par un mécontentement social. Des grèves, des manifestations régulières devaient en terminer avec le sentiment « d’une paix sociale » née du plan Cavallo.
• le second mandat du président Menem a été entaché d’accusations de corruption touchant l’entourage présidentiel. La confiance en l’intégrité des responsables politiques nationaux devait en pâtir.
• les tensions à l’intérieur du parti Justicialiste expliquent en partie, le revers de ce mouvement politique aux élections législatives partielles de 1997, qui se sont traduites par la perte de la majorité absolue à la Chambre des députés. Les difficultés rencontrées au sein même de son mouvement politique par Eduardo Duhalde, gouverneur de la province de Buenos Aires, finalement battu par Fernando de la Rua, ont contribué à ce mauvais climat.
Le nouveau chef de l’État a souhaité, dès son accession au pouvoir, donner les signes d’une volonté de changement, en privilégiant le choix d’hommes expérimentés aux postes gouvernementaux, comme à ceux de contrôle des finances publiques. Après avoir imposé un budget de restriction fiscale, il a décidé de réintégrer dans le giron du contrôle gouvernemental, toute une série d’agences jusque-là indépendantes. Ces mesures devaient contribuer à la lutte contre la perte de confiance d’une opinion confrontée aux difficultés économiques nouvelles.
Pourtant, une série de scandales mettant en cause des sénateurs soupçonnés de corruption (portant sur l’adoption d’un projet de loi sur la réforme du travail), a provoqué une crise ministérielle majeure, le 5 octobre 2000. Les ministres de l’Éducation, des Infrastructures, de la Justice, mais également le vice-président, « Chacho » Alvarez et le chef de cabinet, l’équivalent de Premier ministre, ont dû quitter leurs fonctions gouvernementales.
Assurément, cette situation politique a accentué le doute d’une population qui s’interroge sur la capacité de l’Alliance de l’Opposition qui porta Fernando de la Rua à la présidence, à acquérir une culture de gouvernement. La constitution d’une équipe gouvernementale resserrée a été la réponse immédiate du président à cette situation politique délicate.
Celle-ci s’est doublée d’une situation socio-économique difficile : tenu de respecter ses engagements à l’égard du FMI, le gouvernement argentin a augmenté les impôts en décembre 1999 au risque de retarder la reprise économique. Il s’agissait de mener à bien un plan visant à réduire le déficit budgétaire de l’État et des provinces.
Malgré un secteur bancaire raffermi, une inflation maîtrisée, un déficit budgétaire consolidé de 4,1 % en 1999, une dette externe limitée (50 % du PIB), l’Argentine reste confrontée à un besoin de financement élevé, de l’ordre de 23 % du PIB et à un mauvais ratio du service de la dette extérieure sur recette des exportations qui pèsent sur les conditions de financement.
Dans une période de surévaluation du peso argentin ancré à une parité fixe avec le dollar, certains ont pu craindre une crise monétaire et financière.
C’est pourquoi, après avoir annoncé un plan de contrôle des dépenses publiques marqué par la disparition de la retraite par répartition, l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes de 60 à 65 ans, le gouvernement est parvenu à signer avec le FMI et les banques privées un nouvel accord portant sur 39,7 milliards de dollars, annoncé le 18 décembre 2000.
Un train de mesures l’accompagne : privatisation des systèmes de retraite, réforme de la protection sociale, réduction des dépenses publiques font courir le risque de récession provoqué par la hausse des impôts et par les économies budgétaires, dont une des conséquences immédiates à craindre sera l’accroissement de la pauvreté et des inégalités.
Enfin, l’Argentine continue à poursuivre une politique extérieure très offensive autour de cinq axes essentiels :
• volonté affichée de rompre avec une vision tiers-mondiste des relations internationales est clairement affichée ;
• engagement en faveur d’une relation privilégiée avec les États-Unis qui ont qualifié, en 1997, l’Argentine « d’allié majeur hors Otan ». L’Argentine a gagné un statut régional particulier aux yeux de Washington, au même rang, ailleurs, que l’Égypte, Israël, l’Australie ou le Japon ;
• renforcement des relations entre le Mercosur et l’Union européenne et, à ce titre, demande d’adhésion à l’OCDE ;
• présence internationale par le biais des opérations de maintien de la paix. L’Argentine a été ou reste présente en Nosnie, au Sahara occidental, au Mozambique, à Chypre ;
• entretien de bonnes relations avec ses voisins sud-américains. À ce titre, l’Argentine entend poursuivre et améliorer le processus d’intégration régionale, le Mercosur (2) en réglant tous ses différends, notamment frontaliers, avec le Chili et en réaffirmant le caractère essentiel du régime de commerce administré existant avec le Brésil, son premier partenaire commercial régional. ♦
(1) De 1992 à 1999, le commerce existant entre le Brésil et l’Argentine a été multiplié par sept pour atteindre 20 milliards de dollars en 1999. La dévaluation du réal et la réduction de la demande brésilienne ont entraîné une baisse du poids relatif du Mercosur dans les échanges argentins. Malgré tout, le Mercosur absorbe 30 % des exportations de l’Argentine, dont 25 % par le seul Brésil.
(2) Marché commun du Sud regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay. Le Chili et la Bolivie en sont membres associés.