La réforme administrative et la Région
L’administration française a été gravement malmenée par tous les événements qui se sont déroulés depuis près de vingt ans : événements de guerre et bouleversements économiques et sociaux. Il semble qu’on pourrait, sans trop la déformer, évoquer, là aussi, la pensée de Bergson : « La science a agrandi le corps de l’homme, et celui-ci attend un supplément d’âme. » Les données modernes de la vie économique et sociale ont gonflé, hypertrophié l’administration qui attend, elle aussi, un supplément d’âme. À tout le moins, une réorganisation d’ensemble apparaît aujourd’hui nécessaire. Quelle sera cette réforme administrative ? Obéira-t-elle aux données fondamentales de l’esprit français, de cet esprit cartésien de méthode, de raison, et également de liberté ? Il faudrait craindre, plutôt, d’après certaines idées, lancées quelque peu au hasard, et par hasard, aussi, semble-t-il, déjà intégrées dans tel texte constitutionnel ou telle loi ou décret, que cette réforme ne fût pas conçue logiquement, largement, rationnellement.
L’élément de base de l’administration française est, et demeure, le département, c’est-à-dire la circonscription territoriale créée par la Révolution française et à laquelle, par des votes récents, l’Assemblée nationale constituante a donné une consécration nouvelle en supprimant l’organisation régionale des Commissaires de la République et en réservant au Conseil général et à son président, toute l’administration du département. Cependant, d’un autre côté, alors que la tutelle économique s’impose avec violence sur tout le pays, rien n’a été envisagé pour supprimer la véritable anarchie qui règne dans les données de l’économie générale, du ravitaillement, de la production industrielle, qui, elles, il faut le reconnaître, ne peuvent se conformer au cadre étroit du département. D’ailleurs, personne n’ignore que des projets de réforme ont été déjà officieusement ou officiellement élaborés et qui ne visent à rien moins qu’à supprimer, précisément, ce même département et à lui substituer des circonscriptions qui renfermeraient, au contraire, plusieurs d’entre eux, dans leurs nouvelles limites. De toute façon, le problème n’a jamais été posé dans son ensemble ni discuté au grand jour, soit à la tribune du Parlement, soit dans les commissions interministérielles ou devant le Conseil d’État. Ce sont des interventions non coordonnées qui ont fait prendre telle ou telle décision partielle et indirecte de ce problème capital, sur lequel il est tout de même indispensable de posséder quelques clartés avant de l’aborder. Tôt ou tard, et plus tôt que tard, la question de la réforme sera reprise et, à notre avis, l’une des premières questions qui, même indirectement, se posera au nouveau Parlement, sera celle de la région. La décentralisation réalisée déjà en France dans le sens de la liberté par la loi de 1926, confirmée dernièrement encore par l’article 87 de la Constitution, devra-t-elle être complétée par une déconcentration régionale ?
Le problème fut âprement discuté avant guerre sans qu’un résultat intervînt. Le Gouvernement de Vichy l’avait résolu, en 1941, par la création même de régions, mais dans un sens réactionnaire et pour des motifs de hiérarchie et de commodité gouvernementale. Nous n’avons pas, ici, la prétention de vouloir apporter une solution rigide à cet important et si complexe problème. Nous insisterons cependant sur trois idées générales et préjudicielles qui sont de nature à éclairer le débat.
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