Gendarmerie - Gendarmerie et délinquance itinérante
La prise en compte du facteur mobilité explique, pour une large part, l’apparition et le développement des formations chargées, au sein de la police et de la gendarmerie, des missions de police judiciaire. Une étape supplémentaire dans ce processus de spécialisation a été franchie avec la recrudescence inquiétante ces dernières années du phénomène des raids. Des bandes de malfaiteurs se livrent à une série de vols à main armée dans une même zone géographique, avec un déploiement de violence notamment à l’encontre des commerçants et du personnel des établissements bancaires, mais aussi des représentants de l’ordre. Lorsqu’elles sont pratiquées de nuit, ces attaques prennent généralement la forme du « casse bélier » (utilisation d’un véhicule pour défoncer les dispositifs de sécurité des commerces) ou de l’arrachement de distributeurs automatiques de billets (en recourant, le cas échéant, à des grues, des camions ou des tractopelles). Ces malfaiteurs cagoulés, armés de pistolets gros calibres et de fusils à pompe, et se déplaçant rapidement grâce à de puissantes voitures volées, n’hésitent pas à ouvrir le feu sur la patrouille de gendarmerie ou à la heurter violemment. Les zones rurales apparaissent comme les principales cibles de ce type de délinquance, l’étendue des circonscriptions à surveiller et la dissémination des moyens ne permettant pas aux unités territoriales de pouvoir s’opposer efficacement à ces bandes particulièrement bien renseignées et organisées.
Les investigations conduites en ce domaine ont permis de mettre en évidence que la plupart de ces bandes étaient composées d’individus appartenant aux « minorités ethniques non sédentarisées » (MENS), expression « politiquement correcte » employée pour désigner ce que le langage courant appelle, quant à lui, les gitans, gens du voyage et autres tziganes. En se gardant bien de toute généralisation et stigmatisation, il s’agit d’observer que le mode de vie de ces populations, les changements fréquents de lieux de stationnement peuvent être mis à profit par ces bandes évoluant sur l’ensemble du territoire. Toutefois, cette délinquance itinérante, à laquelle est également associée d’autres formes de criminalité (comme les vols avec violence ou par ruse au préjudice des personnes âgées et les cambriolages de résidences au profit de réseaux de recel de mobiliers et d’objets d’art), est également le fait d’autres catégories de malfaiteurs, qu’il s’agisse de jeunes des quartiers difficiles des grandes villes ou encore de populations provenant des flux migratoires des pays de l’Est (Roumanie et ex-Yougoslavie).
Pour renforcer la lutte contre cette délinquance itinérante, une structure spécifique d’observation et d’analyse a été constituée par une instruction interministérielle du 9 mai 1997. Rattachée au service des opérations et de l’emploi de la direction générale de la gendarmerie, cette cellule interministérielle de liaison sur la délinquance itinérante (Cildi) a pour mission principale de créer une documentation opérationnelle sur les bandes organisées et leurs activités, et d’améliorer la coopération entre les unités et services engagés dans la lutte contre cette forme de délinquance. À ce titre, la Cildi entend favoriser les échanges de renseignements entre police et gendarmerie, en organisant des réunions et en diffusant des informations sur ces phénomènes ; elle peut également apporter son concours aux services saisis par l’autorité judiciaire, notamment pour la mise en place et l’animation de cellules d’enquête. Implantée au fort de Rosny-sous-Bois, elle ne dispose que d’un effectif limité (trois officiers et cinq sous-officiers). À l’origine, un officier de liaison de la police nationale devait rejoindre cette structure animée par la gendarmerie. Dans l’état actuel des choses, cette participation n’est pas encore devenue effective, compte tenu, on peut le penser, de réticences au sein de l’institution policière vis-à-vis de ce qui est perçu comme une intrusion de la gendarmerie dans le domaine longtemps réservé de la lutte contre la grande délinquance, les différents offices centraux intervenant en ce domaine étant, au même titre que la division nationale antiterroriste, directement rattachés à la direction générale de la police nationale.
Depuis sa création, la Cildi n’en a pas moins fait la preuve, sur le terrain, de son efficacité. Pour ne prendre que deux exemples d’opérations dans lesquelles la cellule a pu jouer un rôle prépondérant. Entre mai 1997 et mai 1998, la gendarmerie constate une recrudescence des vols de coffres-forts et de distributeurs automatiques de billets dans les départements de la Dordogne, du Lot-et-Garonne et de la Gironde, prenant la forme de raids nocturnes perpétrés par des équipes de quatre à huit individus armés et cagoulés n’hésitant pas à tirer sur les forces de l’ordre pour couvrir leur fuite. En coordination avec le bureau animation de la police judiciaire de la direction générale de la gendarmerie et la Cildi, une cellule baptisée « Dabcof 24 » est mise en place à Bergerac en octobre 1998, rassemblant des enquêteurs des sections de recherches de Bordeaux et d’Agen ainsi que du personnel des groupements concernés. Le 19 janvier 1999, agissant sur commission rogatoire, les gendarmes lancent une vaste opération coordonnée sur sept sites dans cinq départements : dix-huit personnes sont interpellées et mises en cause pour un ensemble de faits représentant un préjudice global estimé à 500 000 francs en numéraire et à un million de francs de dégâts par effraction et destruction.
De décembre 1997 à juillet 1998, ce sont les départements de l’Indre-et-Loire, du Maine-et-Loire, de la Sarthe, de l’Eure-et-Loir et de l’Indre qui connaissent des faits identiques. Une cellule « DAB 37 » est mise en place en septembre 1998 sur les sites d’Allone et de Beynes. Le 13 janvier 1999, une opération d’envergure permet l’interpellation de trente-sept individus, conduisant à la solution de trois arrachages de distributeurs automatiques, de nombreux vols de véhicules et autres méfaits de délinquance en bande organisée.
Au cours de l’année 2000, pas moins de vingt-six cellules d’enquête ont ainsi été constituées sur l’ensemble du territoire, les opérations coordonnées ayant débouché sur de nombreux résultats positifs (303 gardes à vue et 113 mises en détention) s’agissant d’infractions souvent violentes et génératrices d’un important sentiment d’insécurité. ♦