Amérique - Le Venezuela : premier bilan du régime d'Hugo Chavez
Le Venezuela connaît, depuis 1998, une transformation profonde de ses institutions et de la pratique politique. L’ex-commandant Hugo Chavez, acteur majeur de la tentative de coup d’État de février 1992, a été élu président de la République le 6 décembre 1998 en recueillant 57 % des suffrages.
Ce succès incontestable illustre avant tout, le rejet par les Vénézuéliens de leurs partis politiques traditionnels qui, depuis le pacte de Punto Fijo signé en 1958, animaient la vie politique du pays. L’Action démocratique (AD) gouverna le pays de 1958 à 1969. L’élection de Rafael Caldéra Rodriguez à cette date, fondateur du parti « Comité pour des élections indépendantes » (COPEI), marqua une alternance qui se renouvela en 1989 avec la réélection de Carlos Andrès Pérez issu de l’Action démocratique.
Ce bipartisme a volé en éclats en 1998, victime avant tout des affaires de corruption d’un régime finissant et d’une gestion économique désastreuse. La décomposition du système politique de la IVe République vénézuélienne a profité à Hugo Chavez qui a fait campagne sur le thème d’un volontarisme politique novateur, annonciateur d’institutions politiques rénovées. Ce contrat, Hugo Chavez l’a rempli : le 25 juillet 1999, une Assemblée nationale constituante était élue tandis que le 15 décembre 1999, la constitution d’une « République bolivarienne du Venezuela » était adoptée. Enfin, pour asseoir sa légitimité démocratique, Hugo Chavez, remettait en jeu son mandat ; il était réélu pour six ans le 30 juillet 2000.
La nouvelle Constitution renforce le pouvoir exécutif au profit du chef de l’État. Le mandat de ce dernier est allongé ; son pouvoir de nomination est étendu ; il désigne et révoque les ministres et le vice-président, nouvelle fonction ; le pouvoir législatif est désormais exercé par une seule chambre, l’Assemblée nationale, après la suppression du Sénat, accusé de ralentir le processus d’adoption des nouvelles lois.
L’État vénézuélien se définit comme « fédéral et décentralisé ». L’architecture institutionnelle locale (municipalités, États fédéraux) est maintenue. La disparition du Sénat est atténuée par la création d’un Conseil fédéral de gouvernement, qui est chargé de coordonner le processus de décentralisation et associe les autorités locales aux membres du gouvernement. La nouvelle constitution consacre l’existence « d’un pouvoir citoyen ». Celui-ci se confond avec le Conseil moral républicain qui regroupe le « défenseur du peuple », devant assurer le respect des droits de l’homme, le procureur général, le contrôleur général de la République qui veille au bon emploi des deniers publics.
Les institutions de la Ve République vénézuélienne tendent, par ailleurs, à normaliser la place des militaires dans la vie publique : le droit de vote mais non de prosélytisme politique, ni de candidature, est accordé aux militaires d’active. Les forces armées acquièrent davantage d’autonomie institutionnelle en particulier dans la gestion de leurs moyens financiers. La Constitution n’interdit plus aux militaires d’active d’exercer des charges civiles. Enfin, les missions des forces armées sont élargies : outre la défense de l’intégrité territoriale, elles doivent « participer activement au développement national ».
L’organisation et le fonctionnement de la justice, auparavant extrêmement discrédités, sont modifiés : la professionnalisation de la carrière judiciaire acquiert un rang constitutionnel. La chambre constitutionnelle est créée. Elle doit veiller au respect de la constitution en étant chargée de l’interpréter.
Ce nouvel édifice institutionnel et politique s’inscrit dans une réalité socio-économique qui reste délicate. L’économie du Venezuela est très dépendante du pétrole qui représente 25 % du PIB. Avec des réserves s’élevant à 60 milliards de barils et 22 milliards de barils équivalent pétrole de gaz, le Venezuela est le sixième producteur mondial d’hydrocarbures.
Il est un partenaire énergétique stratégique pour les États-Unis. La chute des cours du pétrole en 1998 a entraîné une forte récession (- 5 %). Leur remontée en 1999-2000 a eu peu d’effets sur la croissance et n’éloigne que temporairement le risque d’une crise de change. La dérive constante des finances publiques, l’affaiblissement du secteur financier, la surévaluation de la monnaie, constituent autant de handicaps redoutés par les investisseurs étrangers. Cette situation économique accompagne une situation sociale difficile : 70 % de la population vit en état de pauvreté. La rente pétrolière a permis de développer un système de prestations sociales auquel la population est très attachée.
La politique extérieure du Venezuela illustre la volonté du nouveau pouvoir de marquer une rupture avec le passé. Défenseur de la souveraineté nationale, le président Chavez conduit une diplomatie très active sur la scène internationale. Il s’est rendu dans plusieurs pays membres de l’Opep, notamment en Irak, en août 2000, pour préparer le sommet de Caracas de septembre 2000 durant lequel les pays concernés se sont déclarés favorable à la stabilité des cours.
En Amérique latine, les relations avec son premier partenaire, la Colombie sont délicates. Ce pays a le sentiment que le gouvernement vénézuélien soutient la guérilla des Forces armées révolutionnaires colombiennes (Farc) au nom du mythe d’une fédération bolivarienne. Les zones frontalières, où sont présents les trafiquants de drogue, les groupes paramilitaires colombiens, des effectifs des Farc, constituent autant de points de litige. Le Venezuela semble privilégier ses relations avec le Brésil, alors que sa diplomatie avec le Groupe des pays andins marque le pas. Enfin, avec la Caraïbe, le Venezuela cherche à jouer un rôle de premier plan dans l’Association des États caraïbes.
Les relations avec les États-Unis sont bonnes : des raisons géographiques et stratégiques peuvent expliquer cette réalité alors que le Venezuela est leur second fournisseur en pétrole. Certaines décisions d’Hugo Chavez sont cependant source de tensions : interdiction de survol du pays par les forces américaines luttant contre le trafic de drogue, rapprochement avec Cuba, visite en Irak.
L’Europe pourrait jouer un rôle de contrepoids aux États-Unis : un accord de coopération technique de 3e génération est établi entre l’Union européenne et le Venezuela qui est bénéficiaire de l’accord sur la banane, et du schéma de préférences généralisées accordé aux pays du Pacte andin et au Panama pour les soutenir dans leur lutte contre la drogue.
Enfin, l’Asie constitue un nouvel espace d’échanges économiques, la Chine et l’Asie du Sud pouvant avoir une place importante dans cette optique.
Sous l’autorité d’Hugo Chavez, le Venezuela s’est engagé sur la voie du renouveau de ses institutions, de sa vie démocratique, de son rôle sur la scène internationale. Cependant, le discours quelque peu populiste du président ne peut masquer les difficultés socio-économiques d’un pays qui ne parvient pas à réformer ses finances publiques et à diversifier les bases de son économie. Le défi de l’ancrage de la nouvelle démocratie vénézuélienne se jouera sans nul doute dans ce domaine. ♦