Sécurité et défense en Europe - La structure de forces de l'Otan
À la cadence régulière de ses réunions ministérielles semestrielles et de ses sommets, l’Otan ne cesse d’évoluer. Elle se met ainsi en phase avec son environnement géostratégique et retrouve une légitimité militaire. Cet effort se traduit par une transformation de ses structures de commandement et de forces.
La toile de fond
La dernière fois que l’Otan a révisé sa structure de forces, c’était en 1990-1991 à la suite du retrait des forces soviétiques. Au sommet de Londres (5-6 juillet 1990), elle adoptait un « concept stratégique » et, pour le mettre en œuvre, décidait de se doter de forces plus resserrées et plus mobiles. Elle créait l’ACE Rapid Reaction Corps, l’ARRC, à ossature britannique. Cette évolution a été complétée par les décisions du sommet de Bruxelles (10-11 janvier 1994) : marquée par les leçons de la guerre du Golfe, l’Otan y lançait le concept de groupement de forces interarmées multinationales, le GFIM.
Après avoir ainsi fait porter l’effort sur les forces, l’Alliance entreprit, de 1996 à 1999, de rénover sa structure de commandement qu’elle réduisait à trois niveaux : stratégique avec les commandements suprêmes alliés Europe (Saceur) à Mons (Belgique) et Atlantique (Saclant) à Norfolk (États-Unis) ; opératif avec, en Europe, les commandements régionaux Nord (RCNorth) à Brunssum (Pays-Bas) et Sud (RCSouth) à Naples ; enfin, le niveau territorial avec sept JSRC (commandements interarmées sous-régionaux) à Madrid, Vérone, Larissa (Grèce), Izmir (Turquie), Heidelberg, Karup (Danemark) et Stavanger (Norvège). De ce fait, le nombre des états-majors passait de 63 à 20.
En s’appuyant sur ce premier train de réformes, au sommet de Washington (avril 1999), l’Alliance put réviser le concept stratégique vieux déjà de dix ans. Sans perdre de vue une éventuelle opération de l’article 5, l’Otan se fixe donc désormais comme objectif d’être capable de mener trois opérations distinctes de réponse aux crises, du niveau corps d’armée, pour des périodes pouvant être supérieures à deux ans, avec l’appui des composantes navales et aériennes appropriées. Comme en 1990, la publication de ce document devait être suivie de la mise en place d’une nouvelle structure de forces. Cette évolution était d’autant plus justifiée qu’il fallait s’affranchir des limites du système actuel révélées en Bosnie et au Kosovo : avec deux millions d’hommes en armes, l’Otan ne peut en déployer que 40 000. Pour satisfaire sa nouvelle ambition, elle va donc se doter de forces déployables suffisantes en nombre, au bon niveau de préparation et avec une disponibilité adaptée.
La nouvelle ambition
La nouvelle structure de forces sera basée sur un jeu unique d’unités comprenant, d’une part, les quartiers généraux et forces en place, réservés principalement à la défense collective et, d’autre part, un réservoir de quartiers généraux et de forces déployables, destinés à la gestion des crises.
Trois états de préparation sont envisagés pour satisfaire aux exigences de cette posture : un niveau élevé pour réagir à une crise de manière échelonnée en moins de 90 jours ; un niveau différé pour renforcer ou relever les unités entre 90 et 180 jours ; demeurent les capacités de réserve qui, dans les plans, peuvent être mobilisées au-delà d’un an pour reconstituer un dispositif en vue d’une opération article 5 à grande échelle. Afin d’améliorer la disponibilité des forces et l’efficacité de leur engagement, le système actuel de déclaration des forces à l’Otan va évoluer : protocoles d’accord et arrangements techniques constitueront les bases juridiques des nouvelles relations entre les nations et les commandants stratégiques.
En application du nouveau concept stratégique, l’Otan estime devoir se doter, sur le plan terrestre de trois quartiers généraux de corps de réaction rapide et de six de relève ; sur le plan naval de trois quartiers généraux embarqués de commandement de composante maritime ; sur le plan aérien, il ne sera pas nécessaire d’établir des commandements de forces en plus de ceux qui sont déjà disponibles dans la structure de commandement.
En réponse à cette demande, les nations ont fourni six quartiers généraux terrestres de corps de réaction rapide ; quatre du type « nation cadre » : l’Italie avec le QG de la force opérationnelle de projection de son armée de terre (Milan), l’Espagne avec le QG de la force de manœuvre de son armée de terre (Valence), la Turquie avec le QG du 3e corps (Istanbul) et le Royaume-Uni avec l’ARRC ; et deux du type « groupe de nations cadres » : le groupe Allemagne-Belgique-Espagne-France-Luxembourg avec l’Eurocorps, le groupe Allemagne-Pays-Bas avec le corps germano-néerlandais (Münster). Elles ont aussi fourni trois quartiers généraux terrestres de relève : le groupe de nations cadres Allemagne-Danemark-Pologne avec le QG du corps multinational Nord-Est (Stettin), la Grèce avec le QG du corps C à Thessalonique, la Turquie avec le QG du 4e corps (Ankara) de même que 12 QG de composante maritime (6 bâtiments de commandement allemand, italien, espagnol, britannique avec leur état-major, 2 bâtiments de commandement néerlandais sans état-major et 4 états-majors seuls, allemand, néerlandais, espagnol et britannique).
Un processus en marche
Afin de permettre aux commandants stratégiques d’évaluer la pertinence de ces propositions, les Alliés ont établi une liste de critères militaires. À cette aune, toutes les propositions terrestres ont été jugées acceptables pour prétendre devenir à terme quartier général de corps de réaction rapide de l’Otan, mais leur perfectionnement prendra deux à trois ans. Il sera piloté par une équipe de conseil et d’évaluation fournie par les commandants stratégiques.
Sur les douze propositions maritimes présentées, seuls trois navires ont été retenus avec leur état-major de commandement embarqué : le bâtiment amphibie espagnol Castilla, un porte-aéronefs britannique du type Invincible et le porte-aéronefs italien Garibaldi.
La marche à suivre se dessine maintenant selon une double approche. D’un côté, il y a le processus de sélection de ces quartiers généraux. Il devrait aboutir d’ici fin 2002 au choix par le comité militaire de l’Otan de trois d’entre eux, mais ce mécanisme n’est pas figé. Les nations peuvent encore à tout moment modifier leurs propositions, les retirer, les regrouper avec d’autres ou en formuler de nouvelles. D’un autre côté, il y a l’élaboration des principes et des besoins de la nouvelle structure de forces. Elle nécessite la réécriture d’un document de base où seront décrits les mécanismes et les outils permettant de constituer un pool de forces déployables et de le mettre en œuvre en temps de paix et de crise.
Les positions des alliés
Si les nations ont accepté de s’investir, c’est pour répondre aux besoins en forces exprimés par l’Alliance. Cette réforme est donc avant tout « otanienne ». À aucun moment, l’Otan ne parle de la structure de forces de l’Europe, et pourtant, c’est en définitive de cela qu’il s’agit.
Le Royaume-Uni privilégie la validation de l’ARRC comme premier corps de réaction rapide de l’Otan. L’Allemagne voudrait profiter de cette réforme pour rendre plus transparent le processus de planification des forces entre les nations pourvoyeuses et les commandants stratégiques employeurs. L’Italie et l’Espagne profitent de cette révision de la structure de forces pour réorganiser leur propre armée de terre. Leur proposition respective à l’Alliance d’un ARRC à Milan et à Valence doit être interprétée comme un engagement politique fort et sans précédent à l’égard de l’Otan pour accéder au statut d’allié majeur.
La Turquie affiche un blocage politique sur tout ce qui touche à la dimension européenne dans l’Otan. Le débat sur la multinationalité et l’application de ce critère à l’Eurocorps en est un exemple. Notons toutefois la présence à Strasbourg d’un officier de liaison turc, et l’ouverture prochaine de quelques postes d’état-major, ce qui devrait favoriser un changement d’attitude.
Les États-Unis n’ont déclaré ni quartier général ni forces. Ils estiment que la structure de forces est avant tout l’affaire des alliés européens. En revanche, leur priorité demeure les commandements stratégiques et opératifs pour diriger les opérations en cours dans les Balkans.
La révision de la structure de forces de l’Otan apparaît effectivement comme la revue des forces européennes mais dans le cadre de l’Alliance. Elle pose donc la question de la participation française.
Se servir du levier de l’Union européenne pour faire évoluer l’Alliance implique de reprendre influence et crédit à l’Otan. Il s’agit d’une démarche qui doit être globale et coordonnée. Pour compter dans les affaires militaires de l’Union européenne, il convient de peser un poids militaire réel dans la nouvelle structure de forces de l’Alliance.
Bruxelles, 21 mars 2001