Le génie de la Chine - 3000 ans de découvertes et d'inventions
L’extraordinaire sens de l’invention de la Chine antique et médiévale, associé à une fine perception des phénomènes naturels, ont permis à l’ex-empire du Milieu de posséder dans le passé une importante avance technologique sur les autres civilisations, en particulier sur l’Occident. Les Chinois sont en effet à l’origine d’une multitude de découvertes scientifiques qui couvrent les domaines de l’agriculture, de l’industrie, de la médecine, des mathématiques et de l’art de la guerre. Ces cinq chapitres d’invention sont étudiés en détail par Robert Temple, un auteur anglophone qui eut le privilège d’avoir servi en Chine pendant la Seconde Guerre mondiale à titre de conseiller scientifique de l’ambassade britannique. Cette affectation a ouvert des réseaux d’amitié à cet érudit qui a pu ainsi se familiariser avec l’histoire du pays de Confucius. Depuis cette période, Robert Temple a effectué de nombreuses missions pour l’Unesco et a écrit une dizaine de livres sur la culture chinoise, notamment sur ses aspects scientifiques. Le document qu’il nous propose aujourd’hui est une version abrégée de l’œuvre monumentale (plusieurs milliers de pages) de Joseph Needham Science et civilisation en Chine.
Le chapitre sur l’agriculture mentionne notamment l’invention de la charrue qui a représenté pendant des siècles un des éléments déterminants de la supériorité de la Chine sur le reste de la planète. Pendant des milliers d’années, la quasi-totalité des paysans ont cultivé la terre en la retournant « d’une façon si inefficace et si éreintante » que les historiens ont qualifié ces labours improductifs « de plus grand gaspillage de temps et d’énergie de l’histoire de l’humanité ». D’après l’auteur, seuls les Chinois ont su se libérer, dès le VIe siècle avant J.-C., de « la tyrannie des mauvais labours ». La charrue chinoise ne fut adoptée en Europe que 2000 ans plus tard. Dans le même ordre d’idées, Robert Temple attire notre attention sur le fait que l’empire du Milieu fut la seule civilisation ancienne à avoir disposé de harnais efficaces pour la traction chevaline. Le harnais à traits, puis le harnais à collier, découverts en Chine au IVe siècle avant J.-C., n’ont fait leur apparition en Occident qu’au XVe siècle.
Dans le domaine industriel, la grande découverte chinoise reste celle de la fabrication de la fonte. La technique fut mise au point dès le IVe siècle avant J.-C. et n’apparut en Europe qu’à la fin du XIVe siècle. Son emploi généralisé dans la Chine ancienne eut des conséquences importantes, comme l’usage en agriculture de socs de charrue coulés, ainsi que d’autres outils de fer, comme la houe, le couteau, les ciseaux, la scie… La nourriture était même cuite dans des pots de fonte. Les tombes de la dynastie Han, du IIe siècle avant au IIe siècle après J.-C., contiennent d’ailleurs des statuettes de fonte représentant des animaux. Si les Chinois furent de loin les premiers à produire la fonte, ils furent aussi les premiers à la transformer en acier. Cette opération se faisait déjà sur une grande échelle au IIe siècle avant J.-C., et elle fut à la base de l’invention du convertisseur Bessemer en Occident en 1856. Au Ve siècle de notre ère, des savants de l’empire du Milieu mirent ensuite au point la méthode de « cofusion » : de la fonte et du fer étaient fondus ensemble pour produire « quelque chose d’intermédiaire » qui était un acier d’un nouveau type. Cette formule devait être appliquée 1400 ans plus tard en Occident dans le procédé Martin et Siemens. Le « génie industriel » de la Chine antique lui a permis également d’effectuer les premiers forages profonds (Ier siècle avant J.-C.) qui servaient à rechercher le sel jusqu’à des profondeurs de 1 500 mètres. Aujourd’hui, nos modes d’extraction du pétrole et du gaz naturel dérivent des techniques chinoises de jadis. Il en est de même pour d’autres technologies comme la conversion du mouvement linéaire en mouvement circulaire alternatif inventée dans le pays de Confucius pour un engin à sasser et à secouer la farine, mû par l’énergie hydraulique. Dans ce registre de la « créativité industrielle », on pourrait également ajouter la découverte de l’imprimerie. Bien avant Gutenberg, les Chinois ont en effet mis en œuvre un procédé d’impression sur soie et sur papier au moyen de blocs de bois gravés. Cette trouvaille est une conséquence de l’invention du papier par les Chinois au IIe siècle avant J.-C.
Le chapitre sur la médecine nous révèle que la mécanique de la circulation du sang, dont la découverte est officiellement attribuée par les historiens à William Harvey en 1628, était en fait connue des scientifiques chinois 2000 ans plus tôt. Les connaissances de ceux-ci étaient également très avancées dans la science de l’endocrinologie et dans certains secteurs thérapeutiques (diabète, usage des hormones thyroïdes, principes d’immunologie, maladies carentielles, etc.). Dans le domaine des mathématiques, le génie chinois a été à l’origine de l’invention du système décimal. Il a aussi apporté une contribution importante dans l’étude des racines, des équations complexes, des fractions décimales et dans la valeur précise du nombre π.
La partie réservée à l’art de la guerre nous apprend que les Chinois ont été les précurseurs de la guerre chimique. Les textes anciens (Ve siècle avant J.-C.) décrivent ainsi des « soufflets servant à pomper du gaz toxique dans des tunnels creusés par les assiégeants d’une ville ». Ces soufflets étaient raccordés à des fourneaux « dans lesquels brûlaient des boulettes de moutarde séchée et d’autres matières végétales toxiques ». Nous sommes là 2300 ans avant l’ypérite, dit gaz moutarde, des tranchées de la Première Guerre mondiale. La principale découverte militaire reste cependant celle de la poudre obtenue à partir du salpêtre. Cette invention a mené à la fabrication du fusil, puis du canon. En outre, la passion des Chinois pour les feux d’artifice (qui étaient tirés à l’occasion des festivités bien avant la découverte de la poudre noire) les a conduits à imaginer, 2000 ans avant les Occidentaux, les premières fusées éclairantes et les premiers lance-flammes.
La liste des objets inventés par les Chinois dans l’Antiquité est impressionnante (manivelle, brouette, pont suspendu, étrier, parapluie, pied à coulisse, lanterne magique, allumettes, jeu d’échecs, cartes à jouer, papier-monnaie, horloge mécanique, rouet, moulinet de canne à pêche, sismographe, gouvernail, boussole, cerf-volant…), mais au vu de ce remarquable bilan, une interrogation majeure demeure. Pourquoi la Chine a-t-elle pu conquérir une telle avance sur toutes les autres civilisations et pourquoi n’a-t-elle pas conservé cet avantage ? L’empire du Milieu a notamment raté la révolution industrielle du XVIIIe siècle qui n’a touché que l’Europe. Pendant deux millénaires, aucun État au monde n’a pu rivaliser avec la Chine en imagination militaire. Or de nos jours, l’armée chinoise reste équipée de nombreux matériels obsolètes. Dans maints domaines, le pays le plus peuplé du globe a même reculé. De nombreuses régions de l’intérieur sont d’ailleurs restées au stade féodal (alors que les provinces côtières sont déjà entrées dans l’ère du XXIe siècle). Beaucoup d’historiens attribuent cet incroyable paradoxe à deux phénomènes : la bureaucratie démesurée et le culte du secret semblent avoir freiné la dynamique de créativité et empêché la diffusion des découvertes. Ce constat fait partie de cette Chine mystérieuse. Une Chine insaisissable, mais une vaste nation pleine de génie et qui a toujours su allier la science à la philosophie, à l’histoire, aux forces surnaturelles et à l’expérience d’une certaine esthétique. ♦