À propos de la difficile conquête de la Saxe et de la Bavière par Charlemagne. L’œuvre politique de Charlemagne a fait, précédemment, l’objet, à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, d’une intéressante discussion entre M. François-L. Ganshof, professeur à l’Université de Gand, et MM. Louis Halphen et Ferdinand Lot, membres de l’Académie.
Charlemagne et les problèmes franco-allemands
On n’a pas toujours prêté l’attention qu’il mérite à l’un des aspects de l’histoire franque à l’époque mérovingienne. On insiste, — et certes avec raison, — sur l’œuvre essentielle de nos rois de « la première race », pour parler comme nos vieux historiens classiques ; on célèbre en eux les constructeurs de cette France future, qui, dans le cadre de la vieille Gaule, conglomère et ajuste les éléments de l’imposante et solide unité dont nous sommes fiers à bon escient, et qui constitue, aux jours d’épreuves, notre suprême sauvegarde.
On ne remarque pas assez qu’en dehors de cette grande tâche historique dont on ne saurait trop souligner l’importance et la haute dignité, Clovis et ses successeurs ont accompli une autre mission : ils ont refoulé celles des tribus germaniques qui, se lançant sur les traces des Francs, menaçaient de leur ravir le bénéfice de leurs exploits. Ces tribus concurrentes ont été repoussées, domestiquées ; enfin, l’Empire mérovingien a largement débordé de la Gaule sur la Germanie, et la dynastie carolingienne a hérité, à l’Est, d’une tradition, dont elle n’a eu qu’à développer la donnée déjà acquise. Loin de diminuer le mérite de Charlemagne, qui a poussé cette tactique à ses fins, l’observation ne va qu’à lui donner tout son lustre, car une œuvre historique puise toujours le meilleur de sa vertu dans son opportunité, et seules sont fécondes les constructions politiques dont les antécédents ont ménagé les conditions de vie.
Les guerres alémaniques de Clovis sont au point de départ de ce retournement vers l’Est des conquérants venus de l’Est. En triomphant de cette tribu, remuante et belliqueuse par excellence, des Alamans, auxquels l’Alsace doit son dialecte et qui se sont avancés jusqu’aux abords de Langres au temps de leur plus vaste extension, le fondateur de la puissance mérovingienne a coupé court à une invasion nouvelle qui aurait pu coûter cher à l’avenir. Car, si les Francs se sont assimilés aisément aux milieux gallo-romains, s’ils ont su amalgamer les qualités solides qu’ils tenaient de leurs ancêtres avec les éléments de culture et de force qu’ils puisaient dans le vieux sol conquis par leurs armes, il est peu probable que les Alamans auraient joué le même rôle civilisateur. Clovis, en passe de devenir chrétien et déjà favorisé par les évêques, fut, en face de la barbarie alémanique, le champion, conscient ou non, de la culture latine et de la religion romaine. Ses fils, en élargissant l’État mérovingien en Thuringe, en Franconie, sur la rive gauche du Rhin, ont été ses continuateurs. L’Austrasie, pièce maîtresse de la monarchie franque, s’étend à la fois sur la France future de l’Est et sur la future Allemagne de l’Ouest. Apostolat religieux et spiritualité latine pénètrent en terre germanique. C’est de cette œuvre, ainsi amorcée, que Charlemagne hérite ; c’est elle qu’il va mener à son terme : de la Germanie, son génie fera l’Allemagne des siècles médiévaux.
Il reste 88 % de l'article à lire