Gendarmerie - Le serment du gendarme
Précisant les règles d’organisation et de service de la gendarmerie, le décret du 20 mai 1903 utilise l’appellation de « militaires de la gendarmerie » pour bien exprimer leur appartenance à la condition militaire. Le personnel servant dans la gendarmerie n’est pas un simple agent public soumis au statut général des fonctionnaires, mais un militaire de carrière, dont le statut particulier est déterminé par la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires et le décret du 28 juillet 1975 portant règlement de discipline générale dans les armées. À côté de ce statut applicable à l’ensemble des forces armées, certaines dispositions propres à la gendarmerie ont été précisées par les décrets du 22 décembre 1975, notamment s’agissant des modalités de recrutement et d’avancement, de l’organisation hiérarchique, de l’obligation de prêter serment et d’occuper les logements concédés par nécessité absolue de service.
Pour ce qui est de la prestation de serment, véritable rite d’initiation, elle consacre symboliquement l’admission de l’individu au sein de la force publique. Inspiré à la fois du cérémonial militaire et de la procédure du serment judiciaire, le serment demeure le premier acte officiel qui exprime et matérialise l’entrée en fonction du gendarme. Au-delà de l’évolution de sa formulation, la loi du 16 février 1791, qui institue cette procédure, précisait que les officiers devaient prêter, devant le directoire départemental, le serment de « s’employer suivant la loi, en bons citoyens et en braves militaires, à tout ce qui pourrait intéresser la sûreté et la tranquillité publique ».
Il a connu à travers les époques certaines vicissitudes, devenant, dans certaines périodes troublées, non seulement une déclaration solennelle d’engagement à maintenir l’ordre public, mais aussi un acte d’allégeance envers le régime politique. Ainsi, sous le Directoire, le gendarme devait prêter le serment suivant : « Je jure haine à la royauté et à l’anarchie, je jure attachement et fidélité à la République et à la constitution de l’an III » (loi du 24 nivose an V, 13 janvier 1797). Sous le Premier Empire, il devait jurer « obéissance aux constitutions de l’Empire et fidélité à l’Empereur » (sénatus-consulte du 28 floréal an XII, 18 mai 1804) et, sous la Monarchie de Juillet, « fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume » (loi du 21 juin 1836). Les décrets du 5 et 11 septembre 1870 devaient supprimer le serment politique et lui substituer une formulation strictement professionnelle, reprise dans le décret du 20 mai 1903. Ce texte n’a pas connu de modification depuis près d’un siècle et demeure celui que, revêtu de son uniforme de cérémonie, le gendarme d’aujourd’hui prête : « Je jure d’obéir à mes chefs en tout ce qui concerne le service auquel je suis appelé, de ne faire usage de la force qui m’est confiée que pour le maintien de l’ordre et l’exécution des lois ».
D’un point de vue symbolique, le serment apparaît comme un acte hautement significatif, à la manière d’une véritable prise à témoin : il s’agit, pour le gendarme, d’exprimer publiquement sa double subordination à la règle de droit et à l’autorité hiérarchique, en prenant comme manifestation première de cet assujettissement volontaire le domaine si particulier de la mise en œuvre du pouvoir de contrainte. Deux éléments se dégagent ainsi du texte du serment : d’une part, la place centrale de l’usage de la force dans l’identification du cadre d’action du gendarme, d’autre part, l’imbrication entre les subordinations juridique et hiérarchique.
Bien que l’usage de la force ne recouvre plus qu’une partie pratiquement résiduelle du service du policier ou du gendarme, il n’en revêt pas moins une importance considérable par référence aux principes de l’État de droit (compte tenu de ses conséquences potentielles en matière d’intégrité physique et de droits de la personne), mais aussi au plan de la définition de la fonction dévolue aux institutions policières. La violence revêt, il est vrai, pour ces dernières, une dimension à la fois fondatrice et fondamentale : fondatrice parce que le souci de rendre effectif le monopole de la contrainte physique est à l’origine de leur émergence et de leur développement ; fondamentale parce que, de même qu’on ne peut concevoir d’État sans organisation chargée de faire respecter les règles qu’il a édictées, il paraît difficile d’appréhender l’activité des institutions policières sans envisager la possibilité qui leur est reconnue d’user en ultime recours de la violence.
Cet emploi de la force, selon un principe de proportionnalité et de gradation, fait l’objet d’un strict encadrement juridique reconnaissant un rôle de première importance au supérieur hiérarchique. En effet, l’obéissance à ce dernier, dépositaire de l’autorité publique, constitue en soi une soumission à l’ordre juridique, et, par là même, la garantie de la subordination juridique de l’institution. En d’autres termes, obéir au chef, c’est se soumettre volontairement à une autorité à la fois légale et légitime, et par voie de conséquence, obéir à la loi et aux représentants de la souveraineté.
Dans le cas où le supérieur hiérarchique s’écarterait de ce principe de soumission inconditionnelle à la loi, il appartiendrait au subordonné, à moins d’engager sa propre responsabilité, de mettre en œuvre une procédure directement inspirée par le principe de résistance à l’oppression énoncé dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, il est reconnu à tout gendarme, comme à tout agent public, le droit de refuser d’obéir lorsque l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement l’ordre public. Cette disposition est reprise par le statut général des fonctionnaires (article 28), le règlement de discipline générale dans les armées (article 8) et le code de déontologie de la police (article 17). Par ce système des « baïonnettes intelligentes », qui aboutit, au terme d’un pré-contrôle de légalité spontané et intuitif, à mettre entre parenthèses le principe hiérarchique, il est fait expressément interdiction à tout personnel, quels que soient son grade et son emploi, de recourir à l’action publique en dehors des dispositions définies par les règles de droit. Aussi lorsque le gendarme prête serment s’engage-t-il à ne pas se livrer à un détournement de la force qui lui est confiée, serait-ce au nom d’une prétendue raison d’État ou d’indicibles intérêts supérieurs de la Nation, c’est-à-dire d’arguments plus ou moins abstraits tendant à justifier une transgression quasi immanente de la légalité républicaine. Le serment prohibe donc toute forme de ce que les Anglo-Saxons appellent la « corruption de noble cause », comme la fabrication de fausses preuves ou les mauvais traitements à l’égard des personnes détenues, à partir d’une argumentation fondée sur la recherche d’une certaine efficacité (au demeurant fort douteuse) dans la conduite des investigations judiciaires. Il ne peut qu’en être de même s’agissant d’éventuelles formes de justice expéditive, comme l’incendie d’une gargote de plage contrevenant au droit de l’urbanisme…
Sur un plan pratique, selon les décrets du 22 décembre 1975, la prestation de serment est une obligation statutaire, aussi bien pour les officiers que pour les sous-officiers, qui leur permet d’exercer ensuite les attributions dévolues aux militaires de la gendarmerie dans le domaine de la police administrative et de la police judiciaire. Si le serment est prêté à la sortie de l’EOGN par les officiers, il intervient, pour le sous-officier, lors de sa nomination au grade de gendarme. En l’absence de l’âge requis (au moins vingt ans), le jeune gendarme n’est pas autorisé à prêter serment et se trouve assimilé juridiquement à un simple agent de la force publique. De manière très solennelle, le serment est reçu en audience publique par le président du tribunal de grande instance. La prestation de serment donne donc lieu à une cérémonie qui symbolise, outre l’admission effective de l’individu au sein de la gendarmerie et son engagement à en respecter les règles, l’attachement de l’institution à sa finalité spécifique et aux principes de l’État de droit. ♦