Honni soit qui mal y pense. L'incroyable histoire d'amour entre le français et l'anglais
Si depuis le début du siècle dernier la langue française n’a cessée d’intégrer des mots anglais il n’en a pas été toujours été ainsi. Pendant des siècles cela a été le contraire, depuis la conquête de Guillaume jusqu’au milieu du XVe siècle. La linguiste Henriette Walter qui avait déjà raconté, avec beaucoup de brio et de clarté, L’Aventure des langues en Occident et L’Aventure des mots français venus d’ailleurs s’intéresse à l’histoire plus que millénaire des rapports entre la langue française et la langue anglaise. Les deux langues connurent trois siècles d’intimité, comme le prouve la longue liste des faux et bons amis, entre les XIe et XVe siècles : tous les rois anglais jusqu’à Henri IV (1461-1483) prirent pour épouses des princesses françaises. Nombreux furent les emprunts au français comme proud tire du vieux français prud (preux), tower de tour, prison… En un sens la connaissance de l’anglais d’aujourd’hui aide à connaître la structure du vieux français. Beaucoup de mots qui ont perdu leur « s » en français l’ont gardé en anglais : pastry, master, cost, cloister, conquest…
Puis les langues s’affrontèrent durant la guerre de Cent Ans avant de s’affirmer l’une indépendamment de l’autre. Jeanne d’Arc insultait les Anglais en les traitant de godon, francisation de goddan (maudit), elle a eu tort pourtant de vouloir les bouter hors de France, car autrement le roi d’Angleterre serait devenu souverain français et la langue française la langue universelle… Du fait de la découverte de l’Amérique, l’anglais pris le large pour entamer sa quête de la suprématie entamée. On le constate à l’occasion du traité de Versailles (1919), le président Wilson étant le seul dirigeant à ne pouvoir s’exprimer en français. C’est le poète Geoffrey Chaucer (1340-1400), l’auteur des fameux Contes de Cantorbory qui a donné ses lettres de noblesse à la langue anglaise encore fortement imprégnée de français comme le prouve ce vers : « He was a verray parfit gentil knyght ». Le rôle de l’imprimerie fut décisif pour fixer, comme partout ailleurs, les règles lexicales et grammaticales de l’anglais. Le triangle Oxford, Cambridge, Londres joua un rôle non négligeable dans la propagation de ce nouvel anglais. L’apparition des premiers dictionnaires nationaux puis de traduction prirent acte de la séparation opérée entre les deux langues qui comportent tout de même encore aujourd’hui 3 222 mots homographes comme « abandon, ablution, volition, voyeur… ». Le premier dictionnaire français-anglais paru en 1530 ne portait-il pas le nom charmant de Lesclarcissement de la langue françoyse. Aux États-Unis, dix capitales d’États portent des noms français : Bâton Rouge, Providence, Saint Paul, Pierre, Juneau…
Au XVIIIe siècle, début d’une anglomanie fort prisée de ce côté-ci de la Manche, l’évolution des langues diverge. Samuel Johnson codifie l’anglais dans son dictionnaire paru en 1755. Grâce à Newton et Halley l’anglais se substitue au latin comme langue scientifique. Le vocabulaire se mondialise comme l’atteste la liste de 1 225 mots communs à onze langues dont 292 (24 %) sont absolument identiques en français et en anglais : album, ballet, beige, bronze, cabaret, concert, film, lion, microbe… « Une langue a besoin du sang neuf apporté par ses voisins et ses visiteurs. Quand les portes se ferment, elle commence à mourir ». Ce livre, assez grand public, agrémenté de schémas, questionnaires, cartes, mêle étroitement l’utile à l’agréable. On s’y amuse beaucoup et on apprend beaucoup. ♦