Discours du président de la République, le vendredi 8 juin 2001, devant l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Avec un monde en perpétuelle évoluition, les conditions de sécurité sont modifiées. La France s'est, depuis longtemps, prononcée pour le respect du droit. Elle a aussi fait le choix d'une défense mobile, collective et européenne : enfin la dissuasion nucléaire reste un fondement.
Politique de défense et de sécurité
Les nouvelles conditions de sécurité
Alors même que des images de guerre sont présentes chaque jour sur nos écrans et dans nos journaux, la perception directe de ce risque par nos compatriotes n’a jamais été aussi faible. Le sentiment de sécurité par rapport à des menaces extérieures n’a jamais été aussi fort.
Nous devons nous réjouir de cette évolution qui témoigne du fait que nos compatriotes ont vu depuis plusieurs décennies la guerre s’éloigner de leur environnement direct.
Éloignement dans le temps tout d’abord, car les jeunes Français d’aujourd’hui n’ont évidemment pas connu la guerre. Mais, pour la plupart d’entre eux, et c’est un fait nouveau, leurs parents non plus. Cette mémoire directe, souvent douloureuse, qui s’était transmise par le souvenir personnel, de génération en génération, depuis des siècles, s’éteint progressivement.
La guerre semble appartenir à un autre temps. Elle appartient surtout à un autre espace. C’est l’acquis le plus précieux de la construction européenne. Un affrontement au sein de l’Union apparaît aujourd’hui inconcevable et la fin de la guerre froide a fait disparaître le sentiment d’une menace directe aux frontières de l’Europe.
Ainsi, au seuil de ce XXIe siècle, la France semble à l’écart des foyers de tensions. Mais ne nous y fions pas car, dans le même temps, le monde d’aujourd’hui réduit les distances.
L’une des conséquences de la mondialisation est que nos intérêts peuvent être affectés par une crise, quel que soit l’endroit où elle éclate dans le monde.
C’est une des raisons pour lesquelles, si nos armées n’ont pas eu à combattre sur le territoire national depuis longtemps, elles ont été conduites à intervenir sur de nombreux théâtres extérieurs au cours des dernières années, lorsque nos intérêts ou lorsque les valeurs universelles que nous défendons étaient en cause. Je pense naturellement aux Balkans, mais des crises plus lointaines peuvent nous concerner lorsque les Nations unies nous sollicitent, comme ce fut le cas à Timor-Est. Chaque fois, ce sont des soldats français qui sont engagés, et donc la Nation tout entière qui est affectée par ces crises.
Enfin, l’évolution des menaces et des technologies contribue également à réduire les distances, et peut transporter, au cœur même du territoire national, la violence d’affrontements qui se déroulent loin de nos frontières. Chacun garde en mémoire les actions terroristes menées en France il y a quelques années. Il est indéniable que les risques associés à la prolifération, même s’ils n’ont rien de nouveau, prennent une autre dimension lorsqu’ils allient le caractère dévastateur des armes dites de destruction massive aux moyens de les propulser à longue distance grâce aux technologies balistiques.
Comme vous le savez, ce dernier sujet vient d’être placé au cœur du débat stratégique par les propositions de nos alliés américains. Nous ne contestons pas les dangers de la prolifération balistique, tout en ayant une analyse différente de l’ampleur de la menace et de son évolution possible dans le temps. Il ne peut y avoir de réponse unique à ce problème qui s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus large sur les nouvelles conditions de la sécurité. Cette réflexion est engagée. Le tout prochain sommet de l’Otan sera l’occasion de l’approfondir. Nos réflexions et nos interrogations sont connues. Elles demeurent mais nous souhaitons poursuivre le débat, un vrai débat fondé sur l’échange et le dialogue.
Les Quinze, comme les autres acteurs du monde multipolaire, doivent être parties prenantes à la définition des nouvelles conditions de la sécurité à l’aube du XXIe siècle.
C’est à ce thème que je souhaite consacrer nos échanges d’aujourd’hui, en rappelant que la paix, comme la liberté, est un combat permanent. Il est de la responsabilité des dirigeants politiques d’en garantir la pérennité pour les générations futures.
En tant que Français et en tant qu’Européen, je suis convaincu que notre sécurité reposera à long terme sur trois piliers fondamentaux et complémentaires : le respect de la règle de droit, la modernité et l’européanisation de notre outil de défense, et la permanence de la dissuasion nucléaire.
Le respect du droit
Il est deux sujets sur lesquels les pays sont réticents à s’engager de manière contraignante : les droits de l’homme et les droits liés à la sécurité internationale et au désarmement. On ne peut en être surpris car ce sont les deux sujets qui touchent le plus directement à la souveraineté des États. S’agissant de la sécurité internationale, faut-il pour autant renoncer et estimer qu’elle serait mieux assurée par le seul jeu des rapports de force ? Tel n’est évidemment pas le choix de la France qui place les progrès et le respect du droit au cœur de sa démarche.
La condition première en est l’application des principes de la Charte des Nations unies et le respect de l’autorité du Conseil de sécurité. Au-delà, notre priorité doit être l’élaboration et la consolidation des instruments juridiques indispensables au contrôle de la prolifération des armements dans l’ensemble du monde.
Beaucoup a déjà été fait en la matière. Nous devons d’abord être soucieux de préserver l’acquis de plusieurs décennies d’effort.
Dans le domaine nucléaire, le traité de non-prolifération (TNP) est un instrument de stabilité essentiel. Il a conduit de nombreux États, qui en avaient la capacité, à renoncer à se doter de l’arme nucléaire. La Conférence d’examen de 1995 a prorogé cet accord pour une durée indéfinie. Ne fragilisons pas ce traité, qui constitue également la base sur laquelle pourra se réaliser le désarmement nucléaire dans le cadre du désarmement général et complet que nous appelons de nos vœux.
Je rappelle, à cet égard, les réductions importantes auxquelles j’ai procédé depuis 1996 pour adapter notre posture nucléaire au contexte de l’après-guerre froide.
Première puissance nucléaire à avoir éliminé les systèmes sol-sol, la France a ratifié en avril 1998 le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (Tice). Et, seule parmi les puissances nucléaires, elle a entrepris le démantèlement de son centre d’expérimentation et de ses installations de production de matière fissile pour les armes nucléaires. Cette contribution au désarmement nucléaire s’inscrit dans une politique constante de refus de la course aux armements, politique qui me paraît plus que jamais d’actualité.
La France, qui, pour sa part, a déjà fait cet effort considérable, ne peut donc que se réjouir des initiatives qui tendraient à une réduction importante des arsenaux existants. En prenant les devants, notre pays a souhaité créer une dynamique plus générale qui devrait notamment se traduire par l’entrée en vigueur du traité d’interdiction complète des essais et l’ouverture de la négociation sur le traité d’interdiction de la production de matières fissiles.
Je ne vous cache pas ma préoccupation quand je constate l’impasse dans laquelle se trouvent depuis plusieurs mois les travaux de la conférence du désarmement à Genève. La négociation d’un traité sur l’interdiction de production de matières fissiles, décidée en 1995, n’a toujours pas commencé et l’entrée en vigueur du traité d’interdiction complète des essais est suspendue à son processus de ratification.
S’agissant de l’arme biologique, peut-être la plus redoutable des armes de destruction massive, la convention d’interdiction de 1972 reste incomplète, faute d’un protocole de vérification dont la négociation est bloquée. Nous connaissons les difficultés rencontrées, mais elles sont surmontables si la volonté politique existe. Les enjeux sont tels que nous devons aboutir.
Plus généralement, il faut redonner un élan aux efforts de non-prolifération, arrêter la dérive. Je n’ignore pas certaines failles qui ont pu exister dans les régimes de contrôle mis en place, mais les entorses à la règle ne doivent pas conduire à l’abandonner. Au contraire, il faut en tirer les leçons pour l’améliorer et la renforcer. Les chantiers engagés doivent être approfondis et conclus. De nouvelles pistes doivent être explorées, notamment pour empêcher la prolifération balistique par un meilleur contrôle du transfert des technologies. Le code de conduite qui s’inscrit dans le cadre du MTCR (Missile Technology Control Regime) doit viser à l’universalité.
L’Union européenne a une contribution particulière à apporter sur ces sujets qui constituent l’un des thèmes centraux de la politique étrangère et de sécurité commune. Dans le domaine spatial les pays européens, en particulier les membres de l’Agence spatiale européenne, disposent d’une expertise reconnue. Je souhaiterais que soit étudiée la possibilité de faire bénéficier de conditions privilégiées de lancement par Arianespace, les pays qui renonceraient à se doter de capacités balistiques propres. Compte tenu des enjeux en cause, et de l’implication traditionnelle des pays européens sur ces sujets, la France serait favorable à ce que l’Union prenne l’initiative d’une conférence internationale destinée à relancer à un niveau politique les efforts de non-prolifération balistique. C’est un sujet que j’évoquerai lors du prochain Conseil européen à Göteborg, en Suède.
Parallèlement à ces efforts prioritaires en vue d’un meilleur contrôle des armements, nous n’excluons pas la possibilité de rechercher des réponses militaires à certains défis posés par la prolifération. Mais il faut veiller à ce que cette démarche ne remette pas en cause des équilibres qui sont fondamentaux pour la sécurité internationale.
La non-militarisation de l’espace en est un élément essentiel. Elle a été préservée jusqu’ici en dépit de toutes les tentations de la guerre froide. Elle doit être maintenue. Il ne serait de l’intérêt de personne que soit ouverte cette nouvelle boîte de Pandore. Nul ne pourrait maintenir un monopole dans ce domaine. Il en résulterait une nouvelle course aux armements dont l’issue serait désastreuse pour le monde.
Dans le même esprit, la France constate que le traité ABM (Anti Ballistic Missile) a scellé l’équilibre stratégique des trente dernières années. Les États-Unis souhaitent aujourd’hui définir un nouveau cadre pour cet équilibre. Il appartient avant tout à la Russie de se prononcer sur cette proposition. La France n’ignore pas pour sa part que le monde a changé et que les conditions mêmes de cet équilibre doivent être redéfinies. Mais elle souhaite que le traité ABM, bien qu’il soit inspiré d’un monde bipolaire qu’elle a toujours dénoncé, ne soit pas écarté au profit d’un système non contraignant. Un système qui, sous couvert de multipolarité, ouvrirait la voie à de nouvelles compétitions non maîtrisées. J’appelle à peser avec soin ce que signifierait une telle évolution. Là encore, la France est prête à contribuer au débat dans un esprit d’ouverture, mais sans renoncer à ses convictions.
Une défense mobile, collective, européenne
Fondée sur le droit et les accords internationaux, notre sécurité s’appuie aussi sur une défense plus mobile, plus collective, plus européenne.
La France entend, bien sûr, conserver la capacité d’agir seule si ses intérêts propres ou ses engagements bilatéraux l’exigent, mais la référence obligée de ses choix politiques et militaires est désormais, plus que jamais, l’Europe.
L’Europe, dont les villes et la population vivent sous la même menace diffuse, à la fois proche et lointaine, que j’évoquais tout à l’heure. L’Europe qui connaît à ses portes, depuis dix ans, l’embrasement des Balkans, les déchirements du Caucase et du Moyen-Orient. L’Europe qui entend aujourd’hui se donner les moyens de peser sur son destin.
L’Europe de la défense
Chacun sait le chemin parcouru depuis Saint-Malo.
Aboutissement des travaux conduits à Helsinki et Lisbonne, le Sommet de Nice en a constitué une étape majeure. La création d’organes permanents au sein de l’Union européenne va lui permettre de décider et d’agir en pleine autonomie, avec ou sans recours aux moyens de l’Otan, pour prévenir ou gérer les crises qui affecteraient sa sécurité. Mais surtout, les objectifs de capacités militaires sur lesquels se sont engagés les Quinze constituent le socle de ce projet qui se veut avant tout concret et réaliste.
Disposant déjà d’une large gamme d’instruments économiques, financiers, humanitaires, l’Europe, en se dotant d’une capacité d’action militaire, devient un acteur politique complet. Que la France et la Grande-Bretagne, chacune avec ses traditions propres, aient pu tracer la voie de la défense européenne en dit long sur l’enjeu de cette aventure commune. L’engagement de l’Allemagne et de nos principaux partenaires, le volontarisme et la solidarité des Quinze ont permis de jeter les bases de ce projet.
Notre conception de l’Europe de la défense ne s’oppose en rien à l’Otan qui demeure naturellement le fondement de la sécurité collective des Alliés. Elle la renforce par l’affirmation d’un partenariat d’autant plus solide qu’il sera mieux équilibré.
Et à ceux qui soupçonneraient la France de vouloir affaiblir le lien transatlantique, nous pouvons sereinement opposer le poids de nos contributions aux opérations de l’Alliance. Faut-il rappeler ici que c’est un général français qui prendra en octobre, pour un an, le commandement de la Kfor (Kosovo forces) au Kosovo ?
La défense de la France
Notre pays est fidèle à ses engagements et il s’est donné les moyens de les tenir.
En février 1996, j’ai proposé aux Français une réforme globale de notre système de défense. Elle prenait en compte, à la fois les transformations de notre environnement stratégique, les innovations technologiques et l’évolution de nos sociétés. Elle définissait les objectifs assignés aux armées jusqu’à l’horizon 2015. Elle fondait les bases de cette défense plus mobile, plus collective, plus européenne qui répond aux besoins de notre sécurité.
C’est cette armée professionnelle, rodée à la gestion des crises, immédiatement disponible et parfaitement interopérable avec nos alliés, que nous avons vu grandir et s’affirmer depuis cinq ans. Ses moyens de commandement et de renseignement, ses capacités de projection de forces lui permettent, dès aujourd’hui, de jouer un rôle déterminant dans les interventions militaires décidées par la Communauté internationale.
Au cours de ces dernières années, nos engagements à l’extérieur ont confirmé le bien-fondé de nos choix. Aujourd’hui 35 000 hommes sont déployés en dehors du territoire métropolitain, dont près de 9 000 dans les Balkans et je rappelle que les moyens combinés de l’armée de l’air et de la Marine ont placé la France au premier rang des nations européennes dans le conflit aérien du Kosovo en 1999. Et c’est cette même armée qui est intervenue massivement, depuis deux ans, sur le territoire national pour secourir nos populations victimes de catastrophes. Nous lui en savons gré.
La réforme accomplie a été considérable et n’a pas d’équivalent dans les autres secteurs de la vie publique. Elle a affecté toutes les composantes de notre outil de défense, les structures de commandement, les forces, mais aussi les procédures d’acquisition des équipements et les réserves.
C’est un véritable tour de force et un exemple pour les administrations de l’État. Et je tiens à rendre hommage, devant vous, à tous les acteurs militaires et civils de cette profonde réforme, aux hommes et aux femmes de la Défense qui, confrontés à des difficultés considérables dont je suis pleinement conscient, peuvent être fiers de la tâche accomplie. Ainsi, avons-nous, dès 1996, jeté les bases d’une défense modernisée. Il nous faut maintenant préparer l’avenir.
L’avenir de l’Europe de la défense
Des choix fondamentaux s’imposent aujourd’hui, tant dans la construction de l’Europe de la défense que pour l’évolution et l’adaptation de nos forces armées. Au sein de l’Union européenne, il faut tenir le cap, mener à bien le programme arrêté au Conseil de Nice et renforcer l’Europe de l’armement.
Les enjeux de cette période d’installation et de transition nous sont connus. L’objectif prioritaire doit être de réaliser et d’améliorer les capacités d’action des Quinze. C’est pourquoi nous attachons une importance particulière à la conférence d’engagement de capacités qui se tiendra sous présidence belge pour combler les lacunes qui ont été identifiées.
Je souligne à cet égard que nos amis américains, qui font eux-mêmes un effort considérable, n’ont pas tort quand ils disent qu’ils jugeront la défense européenne à l’aune des efforts budgétaires qui seront consentis par les Quinze, c’est-à-dire par chacun d’entre nous.
Nos efforts doivent être à la mesure de nos ambitions. Il appartiendra donc aux ministres de la Défense de l’Union de s’assurer que les objectifs de capacités sont bien atteints et de les actualiser par des réunions spécifiques où ils joueront pleinement leur rôle.
Notre deuxième objectif, pour cette année de transition, doit être de consolider l’équilibre des relations entre l’Union et l’Alliance, en évitant toute duplication inutile, en facilitant entre elles la concertation et la coopération, mais sans remettre en cause l’autonomie de décision des Quinze et leur capacité d’agir, le cas échéant, avec leurs seuls moyens. Soyons efficaces et évitons, dans ce domaine, tout dogmatisme.
Notre troisième objectif doit être d’établir entre l’Union et la Russie un partenariat stratégique. Il faut, sur la base de la déclaration adoptée à Paris, sous présidence française, nourrir un dialogue que nous jugeons de part et d’autre indispensable dans un monde que nous voulons multipolaire.
Enfin, notre dernier objectif doit être d’accompagner l’essor de l’Europe de l’armement.
Une étape décisive a été franchie avec la ratification de la convention de l’Occar (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement) par quatre États : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et la France qui concentrent à eux seuls 75 % des dépenses d’équipement de l’Union européenne.
Parallèlement, le paysage industriel s’est profondément transformé. De nouveaux acteurs ont surgi, moins nombreux, plus puissants, transnationaux et privatisés. Notre industrie a pris sa place dans cette mutation. L’émergence de ces entreprises européennes a créé les conditions d’un dialogue atlantique plus équilibré. Nous devons rechercher par ailleurs, sans tarder, la constitution d’une agence européenne d’armement, explicitement prévue par le traité de Maastricht.
Mais tous ces efforts resteront vains si, au sein des Quinze, le déséquilibre s’accroît entre ceux qui consentent à dépenser plus pour la sécurité collective et ceux qui estiment que, parce qu’elle n’a pas de prix, la paix n’a pas de coût.
L’effort de la France
Et c’est là, pour la France, tout l’enjeu de la prochaine loi de programmation militaire. J’ai dit en janvier dernier que cette loi serait le reflet des ambitions que nous avons pour notre pays. Si nous voulons, non seulement garantir au mieux la sécurité de nos compatriotes et de nos intérêts, mais également conserver à la France son rôle et sa place en Europe et dans le monde, il nous faut une bonne loi de programmation militaire.
La planification 2015, présentée au Parlement en 1996, fixait comme objectif essentiel à la loi actuelle la réalisation de la professionnalisation avec les restructurations qu’elle impliquait. Elle a été, comme la plupart des lois précédentes, inégalement appliquée. Des économies ont été réalisées après la revue des programmes de 1998, mais des retards, parfois importants, ont été constatés sur certains programmes majeurs.
La loi future doit nous permettre de consolider la professionnalisation et de maintenir le cap vers le modèle d’armée 2015, validé en juillet 2000 en Conseil de défense, avec naturellement quelques adaptations pour tirer les leçons du Kosovo et des évolutions de la technique et des menaces. Elle doit d’abord préserver le format de nos armées, faciliter une politique attractive de recrutement, garantir le niveau d’entraînement et d’activités de nos forces pour préserver leur capacité opérationnelle. Elle doit enfin assurer aux hommes et aux femmes de la Défense des conditions matérielles qui soient au niveau des services exigeants qui leur sont demandés.
En matière d’équipements, cette loi sera marquée par l’arrivée à maturité de plusieurs grands programmes. Et quatre axes d’effort, me semble-t-il prioritaires, doivent être retenus.
Le premier concerne la dissuasion, élément fondamental de notre stratégie. Je vais y revenir.
Le second doit s’appliquer aux moyens de commandement et de renseignement, outils indispensables à la France et à l’Europe pour préserver leur autonomie stratégique. Un pays comme le nôtre ne peut pas en faire l’impasse.
Le troisième axe d’effort doit porter sur nos moyens de projection. À ce titre, j’attache une importance particulière à la signature rapide de l’accord cadre portant sur le programme d’avion de transport A400M. La France confirme ses engagements et attend de ses partenaires qu’ils fassent de même.
La quatrième priorité concerne nos capacités de projection de puissance. La mise en service du Rafale, le renouvellement de la flotte de surface, la livraison des hélicoptères de combat et de transport de nouvelle génération sont autant d’impératifs que la loi ne devra pas ignorer.
Il faut enfin porter une attention particulière à la protection de nos troupes en opérations extérieures. Le véhicule blindé de combat d’infanterie répond en partie à ces objectifs. Mais j’ai souhaité également que soit étudiée la possibilité de doter nos forces, dans des délais compatibles avec l’émergence des nouvelles menaces balistiques, d’une capacité de défense contre des missiles de théâtre.
Consolider la professionnalisation, donner à nos armées les moyens de jouer un rôle déterminant dans la politique européenne de sécurité et de défense, garantir notre place dans l’Alliance, mettre la France en mesure d’exercer ses responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité, tels sont les objectifs que j’assigne à la future loi de programmation militaire.
Je n’ignore pas, naturellement, que le gouvernement doit faire face à bien des contraintes, mais nous devons garder le cap sur le long terme. Il y va de l’intérêt national. Un effort significatif doit donc être consenti dans les années à venir pour maintenir à niveau notre système de défense. Il importe qu’il soit mis en œuvre dès le budget 2002 pour asseoir la crédibilité de la future loi de programmation.
Dissuasion nucléaire
Fondée sur le droit, appuyée sur une défense plus mobile, plus collective et plus européenne, notre sécurité est et sera avant tout garantie par la dissuasion nucléaire. C’est vrai aujourd’hui, cela le sera plus encore demain. Et je vais vous dire pourquoi.
Il m’appartient en tant qu’ultime gardien de la dissuasion et décideur unique de la mise en œuvre éventuelle de nos forces nucléaires, de vous en rappeler le rôle et de vous exposer comment ses moyens ont été adaptés à l’évolution des menaces.
La dissuasion nucléaire est au cœur des moyens qui permettent à la France d’affirmer le principe d’autonomie stratégique, dont découle notre politique de défense. Elle est aujourd’hui, grâce aux efforts consentis de manière continue depuis le général de Gaulle, un fondement essentiel de notre sécurité et elle le restera pendant de longues années encore dans le nouveau contexte stratégique où elle garde tout son sens et toute son efficacité.
La dissuasion nucléaire est d’abord un facteur important de la stabilité internationale. C’est à elle que l’Europe doit d’avoir été préservée, depuis plus de cinquante ans, des ravages qu’elle a connus au cours du XXe siècle. Imposant la retenue, incitant à la raison, la menace nucléaire crédible commande la paix. Nos forces nucléaires ne sont dirigées contre aucun pays et nous avons toujours refusé que l’arme nucléaire puisse être considérée comme une arme de bataille employée dans une stratégie militaire. Notre dissuasion garantit, en premier lieu, que la survie de la France ne sera jamais mise en cause par une puissance militaire majeure animée d’intentions hostiles et prête à recourir à tous les moyens pour les concrétiser. Alors même que des arsenaux considérables existent encore ou se développent dans diverses parties du monde, cette garantie reste pour nous fondamentale. La dissuasion doit également nous permettre de faire face aux menaces que pourraient faire peser sur nos intérêts vitaux des puissances régionales dotées d’armes de destruction massive.
J’évoquais tout à l’heure le développement par certains États de capacités balistiques qui pourraient leur donner les moyens, un jour, de menacer le territoire européen avec des armes nucléaires, biologiques ou chimiques. S’ils étaient animés d’intentions hostiles à notre égard, les dirigeants de ces États doivent savoir qu’ils s’exposeraient à des dommages absolument inacceptables pour eux. Et dans ce cas, le choix ne serait pas entre l’anéantissement complet d’un pays ou l’inaction. Les dommages auxquels s’exposerait un éventuel agresseur s’exerceraient en priorité sur ses centres de pouvoir, politique, économique et militaire. Naturellement, par essence, l’arme nucléaire est différente et le monde l’a compris. Ce que j’affirme, devant vous, c’est que la France, fidèle à son concept de non-emploi, a et conservera les moyens de maintenir la crédibilité de sa dissuasion face à toutes les nouvelles menaces.
Enfin, notre dissuasion nucléaire doit aussi, c’est le vœu de la France, contribuer à la sécurité de l’Europe. Elle participe ainsi à la capacité globale de dissuasion que peuvent exercer, ensemble, les démocraties réunies par le traité de sécurité collective conclu, il y a plus de cinquante ans, entre l’Europe, les États-Unis et le Canada.
En tout état de cause, il revient au président de la République d’apprécier, dans une situation donnée, l’atteinte qui serait portée à nos intérêts vitaux. Cette appréciation tiendrait compte naturellement de la solidarité croissante des pays de l’Union européenne. Je souhaite enfin rappeler que notre concept de dissuasion, fondé sur le principe de l’unicité, n’exclut pas la capacité de marquer, le moment venu, à un adversaire éventuel, à la fois que nos intérêts vitaux sont en jeu et que nous sommes déterminés à les sauvegarder. Dans ce cadre général, en accord avec le Premier ministre, j’ai défini une programmation de nos moyens nucléaires garantissant à la France de disposer d’un ensemble suffisamment diversifié pour assurer la crédibilité de notre dissuasion en toutes circonstances et quelles que soient la localisation ou la nature de la menace.
Notre capacité nucléaire repose sur deux types de moyens aux caractéristiques techniques différentes et complémentaires. Des missiles balistiques équipant la composante océanique, emportés par des sous-marins, et des missiles à trajectoire aérobie pour la composante aéroportée. Le renouvellement et la modernisation de ces forces ainsi que l’avancement du programme de simulation, destiné à compenser l’abandon des essais nucléaires pour le maintien de nos capacités, constituent, dans ce domaine, les principaux objectifs de la prochaine loi de programmation militaire. Ces moyens ont été définis, dans leur volume et leurs caractéristiques, à un niveau de stricte suffisance déterminé en fonction du contexte politique et stratégique.
Dans l’application de ce principe, la France s’est toujours souciée de définir un niveau de capacité le plus bas possible, conforme naturellement et compatible avec sa sécurité. Restreinte à la stricte suffisance, notre dissuasion nucléaire est donc, plus que jamais, au cœur de la sécurité de notre pays. Dans la situation géographique et politique qui est celle de la France, elle est la meilleure garantie face aux menaces nées de la prolifération, quel qu’en soit le vecteur. Avant de conclure, je voudrais saluer devant vous la haute compétence et le remarquable dévouement de nos militaires et de nos ingénieurs de la force de dissuasion qui veillent, dans la plus grande discrétion, à la protection de nos intérêts vitaux, pour la sécurité de tous les Français.
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Il y a cinq ans, dans ces lieux, j’exprimais deux convictions : le développement inéluctable de la politique étrangère et de sécurité commune et le rôle d’impulsion que la France pouvait jouer dans la construction de l’Europe et pour la stabilité du monde. Mes convictions ont été confortées par les progrès accomplis depuis lors. Un large consensus existe en France sur notre politique de défense et de sécurité.
Attentif aux évolutions contemporaines, légitimement fier de son histoire et de ses réalisations, notre pays entend poursuivre sa contribution à l’élaboration d’un monde plus sûr et plus pacifique. La France, dans l’Europe, doit être le promoteur et le défenseur des valeurs qui fondent la démocratie.
Elle en a les moyens. Et, tous ensemble, nous en avons la volonté. ♦