Amérique - Le Chili sur la voie de la réconciliation
Le président chilien, Ricardo Lagos, a célébré dernièrement la première année de son élection à la tête de l’État chilien. Sa récente visite officielle en France a constitué l’occasion de rappeler les défis que le Chili entend relever au terme d’une décennie marquée par la volonté de réussir une transition démocratique qui se doit d’être achevée. Élu le 16 janvier 2000 au terme d’une campagne difficile pour le camp de la gauche contre le jeune candidat de la droite, Joaquin Lavin, le président Lagos a pris officiellement ses fonctions le 11 mars 2000. Premier président socialiste depuis Salvador Allende, Ricardo Lagos a dû immédiatement gérer l’affaire Pinochet et ses conséquences politiques.
Le général Augusto Pinochet a été arrêté à Londres le 16 octobre 1998 après le dépôt de nombreuses plaintes de familles de disparus instruites par un juge espagnol. Conformément aux dispositions de la Constitution chilienne de 1980, le général Pinochet a quitté le commandement en chef de l’armée de terre le 10 mars 1998 et est devenu sénateur à vie, en sa qualité d’ancien chef de l’État. Rappelons que le Sénat compte 38 membres élus pour huit ans auxquels s’ajoutent 9 sénateurs désignés et 2 sénateurs à vie (le général Pinochet et l’ancien président Frei).
La nomination du général Izuretia, jamais compromis dans les atteintes aux droits de l’homme, comme successeur du général Pinochet à la tête de l’armée de terre, la suppression du jour férié du 11 septembre (le coup d’État contre le président Allende s’était produit le 11 septembre 1973) ont constitué autant de signes forts marquant une évolution politique certaine.
L’arrestation du général Pinochet à Londres devait accélérer le débat national sur l’histoire récente de leur pays. Les protestations de l’armée, qui a obtenu 3 fois la réunion du Conseil de sécurité nationale (le Cosena, hérité de la présidence Pinochet veille au respect de la Constitution), celles de la droite (Rénovation nationale, RN et Union démocrate indépendante, UDI), les tensions au sein de la coalition gouvernementale divisée entre les tenants d’un retour sans condition du général Pinochet et les partisans d’un jugement au Chili, ont été autant de témoignages d’un âpre combat politique. L’arrestation du général Pinochet a favorisé l’ouverture d’un débat sur les violations de droits de l’homme commises durant les années de la dictature : confrontée à la défection d’une partie de ses soutiens politiques, menacée par une mise en cause croissante de certains de ses cadres devant la justice, l’armée a accepté de participer à « une table de dialogue » avec les représentants des Églises et ceux des associations de défense des droits de l’homme.
Ce dialogue a abouti en juin 2000, à un protocole d’accord sur la recherche des disparus, l’armée s’engageant à fournir dans les six mois à la Cour suprême toutes les informations dont elle disposerait sur leur sort, l’anonymat des informateurs étant préservé par une loi votée en conséquence. Après le retour au Chili du général Pinochet le 3 mars 2000, la justice chilienne a engagé des poursuites à l’encontre de l’ancien chef de l’exécutif sur la base d’une centaine de plaintes. Le 5 juin 2000, la levée de l’immunité parlementaire du général Pinochet a été adoptée par la Cour d’appel de Santiago, décision confirmée le 8 août. Le 29 janvier 2001, il est inculpé pour homicides et enlèvement. Le 8 mars, la Cour d’appel requalifie le chef d’inculpation (recel, et non plus commandite directe), le juge Guzman qui instruit l’affaire au Chili accordant le 12 mars dernier la liberté provisoire au général Pinochet moyennant le versement d’une caution. Cet épisode politico-judiciaire a permis au peuple chilien de mener à bien, sur son histoire contemporaine, un travail de mémoire indispensable à la volonté de parachever la transition démocratique dans laquelle il s’est engagé depuis la fin des années 80.
Ce processus est accompagné d’échéances électorales : en octobre 2000, le Chili a connu ses troisièmes élections municipales depuis le rétablissement de la démocratie. Elles permirent à l’alliance gouvernementale, la Concertation, de l’emporter. Cependant, les victoires de l’opposition notamment dans les grandes villes, à l’instar du centre de Santiago, rappellent le défi socio-économique que le gouvernement chilien se doit de relever sous peine d’être sanctionné dans quelques années.
Certes, sur le plan macro-économique, les perspectives sont bonnes : 5 % de croissance en 2000. L’inflation continue de ralentir (6 % en 1997 ; 4,7 % en 2000). Mais, la répartition des revenus reste inégale : au début des années 90, la moitié des Chiliens vivaient en dessous du seuil officiel de pauvreté, un quart dans l’extrême pauvreté. Le taux de pauvreté officiel est passé à 23 % en 1999 tandis que le revenu moyen per capita a doublé (de 2 500 USD à 4 600 aujourd’hui). Cependant, les travailleurs indépendants qui représentent 1,5 million de personnes ne cotisent pas aux fonds de retraite (4 % de cotisants pour 10 % d’affiliés), ce qui a créé à terme, un risque non négligeable de paupérisation de la population âgée.
Enfin, l’écart entre les différents niveaux de rémunération reste très élevé : 37,5 % des travailleurs gagnent entre 100 et 750 francs par mois ; 7,7 % plus de 3 750 francs. Le revenu des 10 % les plus riches est 35 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres. La Banque interaméricaine de développement a d’ailleurs classé le Chili parmi les sept pays les plus inégalitaires du monde.
De son côté, le système éducatif connaît une crise accentuée par la récession de 1999 : 140 000 jeunes de 14 à 17 ans ont quitté l’école alors même que les organisations internationales ont constaté une recrudescence du travail des enfants (150 000 dont 50 000 âgés de 6 à 14 ans). L’enseignement supérieur n’est pas épargné par cette situation : l’État ne couvre que 20 % des frais de fonctionnement des universités, provoquant leur surendettement. Le taux de chômage est passé de 6 % de la population active en 1997 à 10 %. Les jeunes (15-24 ans) sont les plus touchés et représentent 50 % du nombre total des chômeurs.
Ces éléments constituent pour une population de 15 millions d’habitants et un pays de 756 626 kilomètres carrés, au taux d’urbanisation de 85 %, autant de risques d’explosion sociale.
En politique étrangère, le Chili privilégie ses relations avec le continent latino-américain, et ses voisins immédiats avec lesquels les relations n’ont pas toujours été faciles. Les liens avec l’Argentine se sont notablement améliorés. Le dernier litige portant sur la zone dite « des glaciers continentaux » a été réglé par la signature d’un accord en 1998 ratifié par les deux Parlements en 1999. Avec le Pérou, un contentieux à l’origine de « la guerre du Pacifique » entre le Chili, la Bolivie et le Pérou à la fin du XIXe siècle, a été définitivement résolu le 13 novembre 1999 par la signature d’un accord d’exécution du traité de paix signé en 1929 entre les différentes parties et jamais appliqué. Ce texte prévoyait que le Chili remette au Pérou certaines installations du port chilien d’Arica. En revanche, les relations avec la Bolivie continuent à être tendues à cause du problème de l’accès de la Bolivie à la mer alors même que ces deux pays n’entretiennent pas de relations diplomatiques.
Le marché latino-américain est essentiel pour le Chili. Il représente en 2001, 11 % des exportations, 41 % des produits manufacturés du Chili contre 25 % en 1990. Cette réalité a conduit le Chili à se rapprocher sensiblement du Mercosur dont il est membre associé depuis juin 1996.
Les relations avec les États-Unis sont bien sûr, importantes malgré l’existence de quelques points de désaccord : sur le plan politique le Chili est opposé au maintien de l’embargo contre Cuba tandis qu’au niveau militaire, le Chili ne se satisfait pas de l’octroi à l’Argentine du statut d’allié privilégié hors Otan. Toutefois, les échanges économiques sont importants, les États-Unis constituant un marché pour 22 % des exportations chiliennes. En outre, le Chili a annoncé en 2000, son engagement pour l’ouverture de négociations en vue d’un accord bilatéral de libre-échange avec les États-Unis. D’autre part, le sommet de Québec qui a réuni en avril 2001, les chefs d’État du continent américain en vue de créer une zone continentale de libre-échange ne peut que favoriser cette dynamique.
Le Chili diversifie ses relations : l’Union européenne absorbe 30 % des exportations nationales. Un accord-cadre de coopération a été signé en 1996. Enfin, la région Asie-Pacifique devient un nouveau champ de présence internationale : le Chili a adhéré à l’Apec en 1994, le Japon est devenu le second partenaire commercial du Chili, tandis que les investissements en provenance d’Australie augmentent.
Le Chili entend jouer un rôle réel sur le continent américain et sur la scène internationale. Le parachèvement de son processus démocratique, la croissance économique au service du social, le déploiement d’une politique étrangère au-delà des seules Amériques constituent autant d’éléments plaidant en faveur d’un Chili apaisé avec lui-même et moderne. ♦