Un autre regard sur l'Inde
Le récent ouvrage de François Gautier dérange car l’auteur ne mâche pas ses mots pour montrer la grandeur passée de l’Inde et pour condamner sans appel les invasions musulmanes et européennes qui ont partiellement détruit une grande civilisation. Certains, sans nul doute, reprocheront à l’auteur son amour immodéré pour les hindous et sa haine viscérale pour les musulmans. Quoi qu’il en soit, le livre, qui apporte la contradiction en faisant référence à des sources historiques sérieuses et à des découvertes archéologiques récentes, contribue à la connaissance de l’Inde. Il intéressera les lecteurs, spécialistes ou non, de cette région du monde.
D’entrée de jeu, l’auteur définit le mot hindou. Il fut inventé par les Européens pour nommer les gens vivant dans la vallée de l’Indus. En fait pendant longtemps, le terme indou (sans le h initial) désignait tous les habitants de l’Inde, de la grande Inde (c’est-à-dire le Pakistan, le Bangladesh et l’Inde actuels).
Le début du livre, consacré à la mythologie, à la littérature classique, à la philosophie, à l’astronomie (développée bien avant les Égyptiens, les Grecs et les Romains) peut paraître ardu pour les non-initiés.
L’auteur bouscule un théorème essentiel, celui de l’invasion aryenne. Certaines découvertes récentes, archéologiques et linguistiques, semblent en effet indiquer que les Aryens pourraient être originaires de l’Inde même (p. 82). Ils ne viendraient donc pas de l’extérieur, d’Asie centrale ou de plus loin, comme la majorité des Indianistes le pensent encore. Selon François Gautier, l’Inde, non seulement n’a pas été colonisée par les Aryens, mais certains de ceux-ci auraient ensuite émigré vers l’Ouest (p. 31). Cette thèse reste très controversée (voir notamment l’article « Un maître du passé chahuté dans l’Inde actuelle » paru dans Courrier international, en novembre 2000). Si elle était confirmée, elle permettrait d’inclure les cités de Mohenjo-Daro et Harappa et les agglomérations de la vallée de la Saraswati, rivière aujourd’hui disparue, dans la civilisation aryenne. Ces villes prestigieuses constitueraient en quelque sorte l’aboutissement d’un urbanisme aryen raffiné.
L’auteur consacre de longs développements sur les invasions musulmanes du VIIe siècle (en fait l’invasion véritable du Sind date du début du VIIIe siècle) au XVIIIe siècle. L’Inde hindoue, qui connut de grands empires au Nord comme au Sud, fut conquise par les musulmans qui, progressivement, s’approprièrent le pouvoir central. L’aboutissement fut l’empire moghol. François Gautier dénonce les exactions commises par les envahisseurs, les massacres perpétrés contre les hindous et la destruction systématique de leurs temples. Il fustige les historiens négationnistes, indiens et étrangers (dont les Français) qui nient les tentatives d’anéantissement, au fil des siècles, de la culture hindoue par les musulmans (arabes d’abord puis afghans, turcs, moghols…). Il loue au contraire ceux, beaucoup plus rares, notamment le Français Roger Pol-Droit, qui soulignent le rôle de précurseurs des Indiens dans la philosophie, les arts et les sciences ; ou ceux qui, comme le Belge Konraad Elst, montrent l’aspect destructeur des invasions musulmanes.
L’auteur dénonce aussi les abus des colonisations européennes, surtout britannique (en se référant notamment aux ouvrages de Sitaram Goel).
François Gautier épouse d’une certaine manière la théorie exprimée par Samuel Huntington dans son ouvrage Le choc des civilisations (Éditions Émile Jacob, 1996-1997). Pour lui, le choc des civilisations musulmane et hindoue d’une part, chrétienne et hindoue d’autre part, a déjà eu lieu dans les siècles passés. Le choc, en Asie du Sud, entre l’islam et l’hindouisme (comme d’ailleurs, dans le reste du monde, entre l’islam et la chrétienté) se poursuit (p. 75 à 78). D’une certaine manière, les événements récents d’Indonésie lui donnent raison.
François Gautier indique que la stabilité de l’Inde souffre de l’antinationalisme de ses musulmans (qui se manifeste, par exemple, lors des manifestations sportives entre l’Inde et le Pakistan ; mais aucune explication n’est fournie sur leurs réactions après les explosions nucléaires conduites par les deux pays en mai 1998).
L’auteur nuance sa pensée en indiquant que le rôle des missionnaires chrétiens a parfois été positif, en décrivant les faiblesses de l’Inde actuelle (notamment la suffisance des élites, la corruption, la dégradation de l’environnement) et en soulignant quelques points forts du Pakistan (en particulier, bien que cela soit discutable dans la période actuelle, dans le domaine économique, p. 163). Il note que l’Inde n’est pas aimée de ses voisins qui l’accusent d’hégémonisme et d’agressivité mais précise aussitôt que cette perception est injustifiée (p. 163).
Très influencé par le philosophe indien Aurobindo, l’auteur exprime une foi inébranlable dans l’avenir de l’Inde, qualifiée de sauveur possible de l’humanité. Il appelle de ses vœux une réunification du sous-continent dans un système confédéral, ce qui semble aujourd’hui difficilement envisageable. Cet ouvrage permet de mieux comprendre l’Asie du Sud contemporaine et les soubresauts internes et externes qui l’agitent. Malgré quelques imprécisions qui peuvent facilement être corrigées, et des affirmations provocatrices, il est fort utile car il suscite la réflexion en s’opposant à une certaine pensée unique de ceux qui pourraient se croire les seuls dépositaires de la vérité. Le lecteur y trouvera son compte pour se faire une opinion personnelle. ♦