Du Golfe au Kosovo – Renseignement, action spéciale et nouvel ordre mondial
Journaliste indépendant spécialisé dans le renseignement et les problèmes de défense, Jean Jacques Cécile a déjà publié aux éditions Lavauzelle Le renseignement français à l’aube du XXIe siècle. Il nous propose aujourd’hui un complément de cet ouvrage. Son nouveau livre présente l’évolution des services de renseignement civils et militaires depuis la guerre du Golfe face aux nouvelles menaces : mafias, sectes, trafics du crime organisé, désinformation, manipulation dans les médias et sur Internet, etc. Pendant près d’un demi-siècle, les organismes de renseignement ont été façonnés pour contrecarrer le danger représenté par les forces du Pacte de Varsovie. Après la chute du mur de Berlin, la crise irakienne et le conflit yougoslave ont mis en lumière les graves déficiences de ces services qui ont dû adapter leurs méthodes au nouvel ordre mondial, ou plutôt au nouveau désordre international.
Les nouveaux ennemis prospèrent dans les « zones grises » où la « criminalité transnationale » est génératrice d’une puissance financière sans précédent. Interpol estimait ainsi en 1998 que 40 % du PIB russe était directement contrôlé par les mafias. Pour leur part, les services de l’Onu tablent sur un chiffre d’affaires global de 500 milliards de dollars pour l’ensemble de l’économie liée au trafic de drogue. Ces sommes faramineuses procurent à ceux qui les gèrent des pouvoirs inquiétants. Les fortunes colossales des barons du crime organisé prospèrent souvent dans les zones d’instabilité. C’est notamment le cas en Albanie où la criminalité, qui a vocation à s’insérer dans la moindre faille sociale, en profite d’autant plus que la structure traditionnellement clanique de la population locale favorise le développement de phénomènes mafieux. Le pays est devenu la plaque tournante de tous les trafics (stupéfiants, armes, cigarettes, êtres humains…). De surcroît, la situation au Kosovo voisin ne fait que raviver la mainmise d’organisations occultes qui visitent régulièrement les camps de réfugiés pour y extraire des femmes que les bandes mafieuses destinent à la prostitution.
Les activités pernicieuses des sectes constituent l’autre menace majeure au tournant du siècle. Selon l’auteur, le mouvement Aum Shinrikyo, qui s’est tragiquement distingué par l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, aurait eu des contacts avec les services irakiens pour procéder à des échanges de savoir-faire dans le domaine des armes biologiques et chimiques. La secte japonaise posséderait même « un ministère des renseignements » et une « unité spéciale » qui aurait pour mission de surveiller les adeptes récalcitrants et de recueillir des informations sur les actions de la police. Pour s’opposer à l’action des sectes, la France s’est efforcée de mettre sur pied un appareil répressif, mais la mise en place d’une telle mesure se heurte à de nombreux écueils qui concernent notamment la définition même d’une secte.
La guerre psychologique occupe également une place importante dans cet ouvrage. L’auteur décrit les moyens utilisés par les États-Unis pour gagner cette bataille des esprits. Pendant la guerre du Golfe, le 4e Groupe d’opérations psychologiques (4th POG) mit sur pied une radio dénommée La Voix du Golfe qui diffusa des messages de propagande destinés à convaincre la population irakienne de l’impasse dans laquelle Saddam Hussein l’avait plongée. Parallèlement, des équipes de haut-parleurs furent réparties dans les unités. L’une d’entre elles eut son heure de gloire en obtenant la reddition des défenseurs de l’île de Faylaka occupée par un millier de soldats irakiens. Durant le conflit, une opération d’intoxication consista à exploiter les effets destructeurs d’une arme peu connue : la bombe Daisy Cutter dont la forte détonation provoquait la formation d’un champignon évoquant celui d’une explosion nucléaire. Au vu de cette donnée, on imagine l’exploitation psychologique qui a été menée par les Américains pour renforcer la crainte des Irakiens. Au Kosovo, les États-Unis ont également conduit des opérations de guerre psychologique en diffusant des émissions radio à partir d’avions baptisés Commando Solo et en larguant des tracts. Mais l’action la plus insolite concerne l’affaire des hélicoptères Apache qui ont été prépositionnés en Albanie, mais n’ont jamais été envoyés au Kosovo. Sur ce sujet, l’auteur évoque le témoignage d’un Kosovar albanais qui, enrôlé de force, fut contraint de porter l’uniforme serbe, de creuser des tranchées et de construire des bunkers « au rythme de quatorze heures par jour et ce, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Albanie ». Les Serbes avaient tout simplement peur des hélicoptères Apache. « L’image effrayante » de ces aéronefs américains avait été soigneusement entretenue par des tracts. Dans le chapitre sur la bataille des esprits, l’auteur développe également une étude intéressante sur « l’effet CNN ». La prétention à l’information continue de la chaîne américaine « l’érige peu ou prou en moyen d’acquisition de l’information en temps réel, ce fameux temps réel dont rêvent tous les officiers de renseignement ». Toutefois, l’omniprésence de la chaîne câblée dans tous les points chauds du globe est parfois utilisée par des dirigeants peu scrupuleux pour se livrer à des manœuvres de manipulation.
L’ouvrage se termine par une présentation du Commandement des opérations spéciales (COS) qui a été mis sur pied au lendemain de la guerre du Golfe avec les attributions suivantes : « Planifier, coordonner et conduire les actions menées par des unités des forces armées spécialement organisées, entraînées et équipées pour atteindre des objectifs militaires ou paramilitaires définis par le CEMA ». L’originalité de cet organisme réside dans le fait qu’aucune unité n’est hiérarchiquement rattachée au COS. L’EMA a préféré le « système des trois cercles ». Le premier rassemble les unités les plus fréquemment mises à contribution, principalement le 1er RPIMA, les commandos de la Marine et le Commando parachutiste de l’air (CPA) n° 10. Le second cercle regroupe les autres unités spéciales souvent appelées en renfort, à l’exemple du 13e RDP, du Groupement de sécurité et d’intervention de la gendarmerie nationale (GSIGN) et des commandos parachutistes. Le troisième cercle est composé de toutes les formations au sein desquelles le COS peut ponctuellement prélever les spécialistes qui lui font momentanément défaut. Pour faciliter les relations et les mises sous contrôle opérationnel, des protocoles d’accord ont été conclus avec la DRM, la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la DGSE.
La rédaction de ce livre très documenté a nécessité une longue recherche d’informations. Dans cette quête, Internet a pris une place prépondérante. La surabondance de données que l’on trouve dans le réseau a fourni de nombreux éléments d’analyse à l’auteur, mais une pléthore d’informations peut avoir des conséquences néfastes. Le problème n’est finalement pas de trouver ce que l’on cherche, mais bel et bien d’effectuer un tri permanent parmi « le déluge d’informations » qui nous est déversé. On touche ici à l’épineuse question de la guerre de l’information dans laquelle l’intoxication exerce aujourd’hui un pouvoir exorbitant. ♦