Afrique - Cemac : le 3e sommet des chefs d'État
Après les deux précédents sommets de Malabo (1999) en Guinée équatoriale et de N’Djamena (2000) au Tchad, s’est tenu à Yaoundé au Cameroun, du 7 au 9 décembre 2001, le 3e sommet des chefs d’États de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (Cemac). Ils étaient cinq chefs d’États (Tchad, Guinée équatoriale, Congo, Centrafrique et Cameroun) et un représentant (Gabon) à prendre effectivement part au Sommet de Yaoundé.
Ce 3e sommet ordinaire, présidé par le président Paul Biya, reste une étape importante dans le processus de consolidation de l’intégration sous régionale.
Déterminé à mettre les moyens ensemble, à resserrer les liens, pour échapper à la marginalisation dans un monde où le salut passe par le renforcement des blocs économiques, l’hôte camerounais a demandé à ses pairs d’agir avec détermination.
De nombreux défis à relever
Contrairement à sa consœur de l’Afrique de l’Ouest — l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) — où le déplacement des personnes d’un pays à l’autre n’est soumis à aucune formalité contraignante, où les barrières douanières n’existent pratiquement plus ; l’intégration en zone Cemac avance à pas de tortue. Et c’est à juste titre qu’on constate un processus d’intégration à deux vitesses dans ces deux ensembles, tous nés la même année, en 1994.
En zone Cemac, il y a néanmoins eu des avancées notables. Dans ce sens, le Secrétaire exécutif de la communauté, Jean Kuete, peut évoquer le bitumage des routes Ambam (Guinée équatoriale) — Cameroun — Gabon ; l’installation officielle de la Cour de Justice commune à N’Djamena (Tchad) en avril 2000 ; la mise en place à Malabo (Guinée équatoriale), le 12 juin 2000, d’une commission interparlementaire qui, dans cinq ans au plus tard, devra élaborer la convention qui régira le parlement commun ; la mise en circulation d’un passeport sous-régional qui devrait être effectif en juin 2002.
Beaucoup restent encore à faire pour une intégration sous-régionale véritablement efficace. Le financement des organismes de la communauté constitue toujours un des écueils majeurs à sa consolidation. Le projet de création d’une Bourse unique sous-régionale, consacré dans des discours, a finalement échoué. Nous avons eu droit à deux Bourses, une à Douala (Cameroun) et une autre à Libreville (Gabon), ce qui a laissé apparaître au grand jour les dissensions et les luttes de leadership qui existent au sein de la communauté et, plus particulièrement entre le Cameroun de Paul Biya et le Gabon d’Omar Bongo. Il faut également mentionner la levée effective des barrières douanières encore existantes ; la libération concrète de la circulation des personnes et des biens. Jusqu’ici, les déclarations et discours sur la liberté d’aller et de venir en zone Cemac demeurent une vue de l’esprit. À titre d’exemple, l’obtention d’un indispensable visa d’entrée au Gabon pour un Camerounais est un véritable parcours du combattant. Dans le même ordre d’idée, le président Équato-guinéen, pendant le sommet de Yaoundé, a fortement émis des réserves en ce qui concerne la liberté de circulation des personnes en zone Cemac. Ainsi, il souligne le caractère sélectif que doivent revêtir les mouvements de personnes au sein de la communauté. En effet, pour Obiang Nguema Mbasogo, la libre circulation dans les différents États de la communauté devrait principalement concerner les hommes d’affaires, les hommes de cultures, les étudiants et les capitaux. Pour défendre sa thèse de la circulation sélective, il évoque plusieurs arguments : le devoir qu’ont les différents chefs d’États de protéger d’abord leurs peuples respectifs ; la menace d’une importation possible du terrorisme et de la délinquance ; le poids d’une charge sociale devenue trop élevée à la suite d’autres misères importées, etc. Ces réserves sont, en réalité, celles de tous les autres chefs d’États de la Cemac. Aucun d’eux ne voudrait exposer sa population aux menaces terroristes, aux désordres de la délinquance ou aux turpitudes des escrocs qui ratissent la région.
De fait, pour que la libre circulation des hommes et des biens puissent véritablement être profitable à chacun des six États de la communauté, il faudrait absolument que ceux qui en sont les acteurs et ceux qui en bénéficient le plus cultivent, prioritairement, un réel esprit communautaire. Cet esprit-là comporte un certain nombre de vertus : le respect d’autrui dans ses choix et comportements, tant que ceux-ci ne portent préjudice à aucune réalité instituée ou traditionnelle du pays hôte ; l’absence de préjugés nourris gratuitement des uns contre les autres ; le sentiment de sécurité d’être partout chez soi ; l’idéal d’appartenir à un ensemble qu’il faut rendre toujours plus solidaire et toujours plus prospère. Si l’esprit communautaire doit transcender des particularismes et des replis identitaires, il ne doit pas être, cependant, indifférent à la sauvegarde de ce qui, pour un peuple défini, correspond à des intérêts vitaux et intangibles. Des Camerounais ne seront jamais désirables à Malabo, s’ils y vont uniquement pour abuser de l’hospitalité des Équato-guinéens ; des Gabonais seront mal vus à Bangui (Centrafrique), s’ils vont s’y comporter comme des vainqueurs en terre conquise. De leur côté, les Équato-guinéens n’ont pas le droit de voir en chaque Camerounais un escroc en puissance qu’il faut haïr et maltraiter.
Le rapprochement des peuples, sans lequel il ne saurait y avoir une véritable intégration, constitue sans doute le plus grand challenge des chefs d’États de la Cemac, à l’heure où, d’un pays à l’autre, des actes de xénophobie participent de la réalité quotidienne.
Une volonté affichée
Si les résolutions des travaux de Yaoundé sont réellement appliquées, elles devraient constituer une importante amorce de solution à ces problèmes. Le principe de la création d’une compagnie aérienne régionale a été adopté à l’unanimité. Cette future compagnie, une fois mise en place, devrait faciliter les voyages et les contacts humains, faciliter le développement des échanges des biens et services. Selon M. Kuete, cette société devra avoir un caractère essentiellement privé, avec une participation minoritaire des intérêts publics des États. Son capital sera ouvert aux opérateurs économiques locaux et étrangers. Un plan de restructuration de la Banque de Développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) a été adopté afin de traduire une seule et même volonté, celle de créer un espace de sécurité et de développement durable en Afrique centrale.
Pour résoudre le crucial problème de financement des organes de la communauté, les participants au sommet de Yaoundé ont décidé de l’adoption d’un code de financement du secrétariat exécutif. Ce secrétariat sera donc désormais doté d’un fonds de développement qui lui permettra de faire face aux problèmes de financement communautaire. Dans le même cadre, il a été mentionné un projet de création d’une compagnie de réassurance communautaire et, un impôt régional de financement de la communauté. Enfin, le principe de l’organisation de compétitions sportives entre États a été remis à l’ordre du jour. Ces compétitions ont pour but de susciter l’indispensable rapprochement des peuples.
Le prochain sommet des chefs d’États de la Cemac aura lieu, en 2002, à Bangui en République centrafricaine. Ce sera une belle occasion pour juger de l’avancée des engagements pris à Yaoundé. ♦