L'après-démocratie
Eric Werner, dont nous avions eu le plaisir, il y a deux ans, d’analyser un précédent ouvrage, adore les titres provocateurs et la promotion d’idées qui exhalent dans l’ambiance actuelle un parfum sulfureux. La construction du livre est originale : l’avant-propos couvre en effet presque le quart du volume total. Notre Don Quichotte y ferraille d’emblée sans ordre évident, au risque de donner parfois l’impression de tourner en rond. Le règlement de comptes est en tout cas sévère et les moulins fort ébranlés par un souffle plus destructeur que moteur.
Qu’on en juge : démocratie confisquée, faite de combats pipés « entre une droite honteuse et une moindre gauche… ne divergeant entre elles que sur des points de détail » et dirigées par des nomenklaturas complices ; idéologie imposée à base d’« idolâtrie des droits de l’homme… et d’intégrisme pro-Lumières », nouvelle religion ayant ses boucs émissaires et ses dogmes avec « le néo-machisme féministe », l’immigration et le régionalisme, « appelant sans cesse à battre sa coulpe pour des fautes réelles ou imaginaires » ; liberté d’expression muselée par des textes comme la loi Gayssot, application d’un « totalitarisme occidental » prompt à dénoncer les crimes nazis et communistes en oubliant Dresde et en se livrant sous prétexte de Kosovo à une « opération publicitaire et budgétaire de l’US Air Force » ; médias jouant le rôle de filtre en fonction d’un véritable « cahier des charges » et parmi lesquels trône la télévision « entonnoir de la désinformation… renversant nos remparts culturels à l’appel de ses trompettes » ; jeunes enfin, soumis au « Machiavel pédagogue… sinistrés de l’école de masse, abandonnés à la sous-culture rap, rock et techno ».
Suivent une douzaine de courts libelles, dont une partie a déjà été publiée sous forme d’articles dans la presse, certains sous la pression de l’actualité. Le lecteur fera son miel de l’un ou de l’autre. Pour notre part, nous avons particulièrement apprécié les pages parues sous les titres « Ingérences étatiques », assez inquiétantes, et « État des lieux, lieu de l’État », réflexion percutante sur la « délocalisation » de l’État selon l’exemple gaullien (« Pourquoi pas à l’île de Pâques ou sur Internet ? »).
Deux derniers chapitres, surprenants, permettent au docteur ès lettres de se livrer à quelques divagations mettant en scène le trio Pascal-Proust-Nietzsche, réunis sous la houlette de la duchesse de Guermantes et de Zarathoustra. Ce faisant, l’auteur sait où il va et qui il vise en étrillant les « demi-savants… conformistes de l’anticonformisme… dont l’intelligence tourne à vide » et, sur le bord des falaises de marbre de Jünger, il touche à la fin de l’envoi. Bardé d’une quantité de références, appuyé sur moult citations d’Hanna Arendt, le récit progresse vers une sorte de terrifiante parabole, une interprétation de la bataille du Champ des Merles fondée sur « la fascination de la défaite… un goût de l’expiation » qui, six siècles après, pourrait bien animer nos dirigeants, pilotes de populations vieillissantes et léthargiques.
Faut-il brûler Werner en place de la Palud ? Peut-être, mais pas avant d’avoir vérifié s’il n’y aurait pas quelque fond de vérité dans ses attaques iconoclastes. ♦