The Third Option (The Emancipation of European Defense : 1989-2000)
Nous avons déjà eu, par deux fois, l’occasion de présenter aux lecteurs de cette revue les ouvrages de cet auteur, et nous avons alors mentionné que Charles Cogan était docteur de l’université d’Harvard et attaché à la John F. Kennedy School of Government de cette université, après avoir servi pendant près de quarante ans dans la CIA, à travers le monde ; aujourd’hui, nous leur précisons qu’il est un militant convaincu de l’amitié franco-américaine. Ses livres précédents traitaient d’ailleurs de l’histoire, parfois mouvementée, de cette amitié, puisque le premier (Oldest Allies: Guarded Friends), publié en 1994 (1), analysait les soupçons qui se sont manifestés entre les deux plus vieux alliés depuis la Première Guerre mondiale ; et que le second (Forced To Choose), publié en 1998 (2), le faisait pour ceux survenus entre la France et l’Otan, jusqu’à nos jours.
Le nouvel ouvrage de Charles Cogan est ainsi dans le prolongement historique des deux précédents, puisqu’il se propose d’analyser le comportement de la France en matière de défense depuis la fin de la guerre froide ; et par suite principalement, là encore, à l’égard des États-Unis ; mais cette fois dans le cadre élargi d’une Europe de la défense « en émancipation », manifestant ainsi une « troisième option » française ; et pour que cette option soit claire, la « 1re de couverture » de l’ouvrage représente Jacques Chirac et Tony Blair, se souriant mutuellement.
Dans son introduction, l’auteur analyse rapidement à partir d’une bibliographie très complète, ce qu’il appelle le « France-Nato-Problem » tel qu’il s’est manifesté à ses yeux depuis l’échec du projet de « Communauté européenne de défense » jusqu’à la fin de la guerre froide, en passant par l’échec de l’expérience de l’UEO, pour aboutir à la fin de la guerre froide, à la « survie de l’Otan ». Il analyse ensuite, et alors beaucoup plus finement, les « étapes » qu’il distingue dans l’évolution des relations de la France avec l’Otan depuis cette date. Pour lui, la première de ces étapes s’est terminée avec le changement dans la « nature de l’Otan » qui a eu lieu en juillet 1990, lors du sommet de Londres, au cours duquel le recours à l’arme nucléaire ne fut plus admis qu’en last resort, puisque la France refusa cette stratégie pour ce qui la concerne. La deuxième étape, toujours pour notre auteur, s’est déroulée depuis la guerre du Golfe, au cours de laquelle la France a à nouveau manifesté sa « singularité », jusqu’à l’adoption du « Nouveau concept stratégique » en novembre 1991, par lequel l’Alliance s’est vu confier la mission de maintenir la stabilité et l’équilibre en Europe, sans pour autant renoncer à ses structures de « commandement intégré » ; alors que, presque simultanément, la France et l’Allemagne décidaient la création d’un « corps européen » (Euro-Corps) et que le traité de Maestricht proposait la mise en place d’une « Identité européenne de défense ». La troisième étape que distingue Charles Cogan est celle qui de 1992 à décembre 1995 voit, avec « l’imbroglio balkanique », la France se rapprocher de l’Otan. Et la suivante, toujours pour lui, sera celle de l’« imbroglio d’Afsouth », à la suite de la demande de la France de se voir attribuer dans les structures militaires de l’Otan, le poste de commandant en chef du Secteur Sud Europe ; étape qui se terminera en juillet 1997, lors du sommet de Madrid, par la constatation qu’était dans l’impasse la recherche d’un meilleur équilibre dans l’Otan entre les États-Unis et l’Europe. Et c’est alors que notre auteur voit poindre les sourires complices de notre président de la République et du Premier ministre de Grande-Bretagne, évoqués plus haut, ainsi que « The Turn Toward Autonomy », qui se concrétiseront lors de la rencontre de Saint-Malo (décembre 1998) ; avant de nous révéler que le sommet de Cologne (juin 1999) fut considéré par Washington, comme celui « de tous les dangers ». Et Charles Cogan en arrive ainsi à l’époque contemporaine (sa relation se terminant en décembre 2000), qu’il considère, avec optimisme pensons-nous, comme celle où l’Union européenne « commence à devenir une organisation de défense ». Toutes ces relations successives étant, rappelons-le, assorties de nombreuses précisions et d’innombrables références, faisant ainsi de son livre un ouvrage « scientifique ».
Il se termine par un « épilogue » où l’auteur résume ses conclusions, nous présentant ainsi le point de vue américain, mais de manière amicale répétons-le, au sujet des problèmes relatifs à la défense qui subsistent entre les États-Unis et l’Europe, dont les positions extrémistes en la matière sont, depuis toujours, celles de la France. Il les énumère ainsi : absorption ou autonomie, contestation au sujet de l’« élargissement », place de la Russie, relations « euro-atlantique », attitude américaine à l’égard d’une Europe de la défense, équilibre délicat entre la France et l’Allemagne, « l’entente cordiale est-elle devenue vraiment cordiale », sort du commandement intégré, avenir de l’Otan et de l’Union européenne. Et il faut constater que tous ces problèmes sont effectivement apparus, tout au moins en filigrane, au moment où nous écrivons ces lignes, c’est-à-dire à la veille de la fin des combats de Tora Bora en Afghanistan et au lendemain du conseil européen de Laeken, ces deux événements quasi consécutifs où l’on a vu évoquer pour la première fois, le fameux article V de la Charte, mais sans qu’il soit suivi d’effets collectifs ; puis le Premier ministre de la Grande-Bretagne faire assaut de zèle dans les special relationships, et l’ancien ministre de la Défense britannique devenu secrétaire général de l’Otan, proposer à la Russie son intégration dans l’Union européenne et/ou dans l’Otan, et enfin cette Union européenne s’interroger en vain sur son organisation et son élargissement, et par suite sur sa finalité. Il a semblé en résulter, pour les observateurs de la base, que si l’Europe économique, celle des « marchands » peut perdurer, n’est pas encore en vue une Europe « puissance mondiale », celle qui se situerait alors sur le même plan que les États-Unis, la Russie et la Chine. On permettra alors, peut-être, à celui qui a été autrefois un observateur attentif de la naissance de la « Communauté européenne de défense » (CED), puis de sa mort, d’exprimer un ultime regret, devenu inutile puisqu’il n’est plus concevable de revenir à cette Europe qui aurait pu avoir un avenir fédéral, parce que composée d’États ayant la même culture et la même histoire, même si celle-ci fut parfois agitée ; et qui, par ailleurs, se tournait vers l’avenir en tendant une main amie, simultanément, en direction de la Grande-Bretagne (par l’intermédiaire du Benelux) et de la Méditerranée (par celui de l’Italie et ultérieurement de l’Espagne).
Pour en finir, revenons-en aux experts, et signalons alors à nos lecteurs que le Centre d’études d’histoire de la défense (CEHD) vient de publier, sur un sujet très voisin de celui traité par Charles Cogan, un « cahier », à la manière des Adelphi Paper de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres. Son titre est en effet La France et l’Alliance atlantique depuis la fin de la guerre froide (1989-1999). La comparaison entre les conclusions des deux ouvrages sera d’autant plus intéressante que son auteur, le professeur Frédéric Bozo, est lui aussi un ancien de l’université d’Harvard et par ailleurs spécialiste reconnu des relations entre la France, l’Otan et les États-Unis, sur lesquelles il a déjà écrit plusieurs ouvrages, très appréciés.
Sur le même sujet, il convient aussi de profiter de l’occasion pour signaler aux lecteurs de cette revue, la toute récente parution des actes d’un colloque organisé en octobre dernier par l’association « Démocraties », sur le thème « Quelle Europe politique demain ? ». On y retiendra en particulier l’intervention relative à l’avenir de la défense européenne, et par suite des rapports transatlantiques, de l’amiral Lanxade, ancien chef d’état-major des armées, ainsi que celles, très documentées, concernant les aspects industriels et spatiaux de cette future défense. ♦
(1) Défense Nationale, mars 1995.
(2) Défense Nationale, avril 1999.