Les institutions européennes
Cette 5e édition, qui inclut notamment les apports du Traité de Nice, se présente sous la forme modeste d’un aide-mémoire mais, ne nous y trompons pas, la matière est extrêmement dense et exige une lecture attentive, même pour qui a suivi l’actualité et s’estime correctement informé. Désormais, l’effondrement du bloc soviétique et la fin de la longue « division institutionnelle » du continent cessent d’être une nouveauté pour devenir une donnée historique, un jalon, bien que les conséquences soient encore loin d’en être digérées.
Notre auteur, expert confirmé, connaît la musique européenne et la joue selon des orchestrations variées, attaquant le sujet sous des angles d’approche différents : politique, institutionnel, diplomatique, financier, commercial, agricole… Le lecteur est invité à s’y retrouver suivant un plan assorti d’une numérotation rigoureuse. S’y ajoutent quelques tableaux chronologiques utiles et surtout de courts encadrés, fort précieux bien que rompant le fil, faisant le point de façon précise sur un sujet donné et permettant d’y voir à peu près clair dans des procédures complexes (voir par exemple p. 56 le cheminement de « codécision révisée » !). L’auteur navigue avec aisance entre écueils juridiques et courants économiques, évitant autant que faire se peut Charybde et Scylla, dans un style alerte et parfois imagé, sachant par exemple (p. 86 à 90) silhouetter en quelques mots la position des pays méditerranéens et celle des pays nordiques. Quant à l’objectivité, elle est de rigueur ; nous n’avons froncé les sourcils qu’une fois, en lisant p. 176 à propos des manifestations pacifistes lors de la crise des euromissiles que celles-ci révélaient une cassure entre les gouvernements et « une grande majorité des opinions » ; nous nous sommes alors permis de nous demander si le niveau sonore et la couverture médiatique ne parvenaient pas à influer sur les pourcentages.
Certes, « l’acquis est immense », et en même temps exemplaire, dans la mesure où, comme l’affirme en conclusion Philippe Moreau Defarges, les institutions européennes sont « les meilleurs laboratoires de la coopération internationale ». Si la progression est malaisée, une « dynamique de l’intégration » ne s’en institue pas moins grâce à un « effet de cliquet ». Il reste qu’après les multiples étapes à travers lesquelles on chemine, comme la « laborieuse ratification » du traité de Maastricht, subsistent nombre de problèmes pour le proche futur, devant des peuples qui « se découvrent ligotés par des milliers de normes adoptées à Bruxelles », œuvre de « technocrates utilisant un langage obscur ». Les interrogations vont des « frustrations » du Parlement à l’avenir de la commission Prodi ; de l’élaboration d’une constitution dont « le chantier est ouvert » aux rapports entre euro et FMI ; de la place éternellement ambiguë de la Grande-Bretagne toujours marquée de l’empreinte « thatchérienne » à la redistribution des fonds structurels… Bref, il n’est pas question pour nous ici d’en dresser la liste, mais d’indiquer que celle-ci est longue.
Il y a donc du pain sur la planche avant de cesser de voir dans la Communauté une « machine à fabriquer du compromis », de sortir définitivement des expressions « délibérément floues », voire d’un « magma ingérable », d’ajuster les institutions au « nouveau paysage » où domine la « centralité » retrouvée de l’« État-pivot » germanique, de donner un contenu concret à l’« incertaine » Pesc… Sortir aussi et surtout du dilemme entre approfondissement et élargissement, entre l’état de « concertation intergouvernementale » assaisonnée d’artifices du type « noyaux durs » ou « coopération renforcée » et la marche vers une véritable fédération, quitte à provoquer une « épreuve douloureuse pour les États-nations ».
Grâce à cet ouvrage, proclame la « quatrième de couverture », le lecteur « dispose d’un panorama concret, complet et problématique du système institutionnel européen ». C’est tout à fait exact. Sans apporter de révélations ni verser dans la polémique, ce qui n’est aucunement sa vocation, ce (faussement) petit livre, à la fois analyse et synthèse, sera précieux pour trouver références, précisions et même matière à réflexion… en attendant l’édition suivante que la rapidité de l’évolution nécessitera tôt ou tard. ♦