Éditorial
Pour la première fois, depuis que la Constitution de la Ve République a donné au président de la République des responsabilités majeures dans les domaines de la politique étrangère et de la défense, le Comité d’études de défense nationale a demandé leur « profession de foi » à quatre candidats à la magistrature suprême. La correspondance envoyée à ces candidats, accompagnée de quelques questions particulières, figure à la suite de cet éditorial.
Les réponses, différentes aussi bien dans la forme que dans le fond, apportent une information supplémentaire dans une campagne présidentielle, mais aussi implicitement législative, où les problèmes de défense, à l’exception du volet sécuritaire, ne sont ni centraux, ni prioritaires.
Toutefois, le président élu et le nouveau gouvernement, après avoir approfondi leur réflexion, auront à prendre rapidement des décisions, qui ne seront pas simplement du domaine de la stratégie des moyens, comme la nécessaire actualisation du projet de loi de programmation 2003-2008.
En cas de crise à chaud les procédures de concertation et d’élaboration de la décision entre militaires et diplomates sont rapides et permettent de présenter aux décideurs politiques des options exhaustives.
Il n’en est pas de même sur le moyen et le long terme où la concertation Défense-Affaires étrangères est insuffisante par rapport à ce qui se passe ailleurs, par exemple aux États-Unis.
Force est de constater que depuis l’implosion de l’Union soviétique l’utilisation des forces armées françaises comme instrument de politique étrangère et d’influence a été intense mais pas optimale. Le cadre international n’a facilité ni la définition d’objectifs clairs, ni le respect des principes élémentaires de « l’art de la guerre », et a fait évoluer insensiblement, par le biais des missions de Petersberg, le métier des armes vers un « mercenariat sécuritaire ».
Au-delà des revendications matérielles, cette évolution n’est pas étrangère au malaise des forces armées et nécessitera pour le moins un effort de pédagogie du prochain chef des armées, sur leur place et sur leurs missions, en attendant que l’émergence d’une identité européenne soit suffisamment perceptible pour constituer un complément crédible au sentiment national.
Ces problèmes nationaux réglés, quel sens et quelles limites donner à « l’autonomie stratégique » de la France dans le cadre de l’Europe de la défense au moment où les États-Unis recomposent unilatéralement l’équilibre stratégique mondial et s’affranchissent de toute alliance militaire permanente ?
Cette construction pragmatique de la défense de l’Europe nécessitera, entre autres, un effort en recherche et développement qui pourrait se concrétiser par une agence européenne spécialisée disposant de la personnalité juridique, dotée d’une ligne budgétaire communautaire propre, abondable par les budgets nationaux et fonctionnant par exemple comme la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) américaine.
Par ailleurs les restructurations industrielles devront faire l’objet d’une nouvelle et vigoureuse impulsion, incluant les domaines naval et terrestre, afin d’équiper les forces armées de matériels évolutifs dans des délais singulièrement raccourcis et de poursuivre une coopération transatlantique plus équilibrée.
Il y a là une chance supplémentaire à saisir pour l’Europe de la défense et la défense de l’Europe d’autant que des sondages récents, dont on trouvera les résultats dans ce numéro, montrent que la perception des menaces a progressé en Europe, que des solutions européennes au prix d’un accroissement des dépenses de défense sont souhaitées dans plusieurs pays de l’Union. ♦