Gendarmerie - Gendarmerie et délinquance : bilan 2001
Avec 4 061 792 crimes et délits constatés par l’ensemble des services de police et de gendarmerie, l’année 2001 a connu une variation de la délinquance particulièrement importante, soit +7,69 % par rapport à 2000, portant le taux de criminalité à hauteur de 68,80 %.
En deux années, c’est près d’un demi-million de faits supplémentaires qui ont ainsi été constatés par les forces de l’ordre, pour dépasser, l’an passé, un seuil hautement symbolique déjà pratiquement atteint en 1994 (3 919 008), de sorte qu’en intégrant, de surcroît, l’augmentation de la population française intervenue depuis 1993 (soit +1,2 million d’habitants), le niveau de délinquance objective ne semble guère avoir véritablement évolué ces dix dernières années. Cette criminalité globale se répartit en quatre grandes catégories : les vols (62,1 %), les infractions économiques et financières (9 %), les atteintes aux personnes (6,9 %) et les autres infractions dont les stupéfiants (22 %). Sous réserve de ce dernier domaine ayant connu une baisse assez significative (-11,68 %), qui peut s’analyser par un certain relâchement de l’action répressive en matière notamment de consommation, l’ensemble des autres catégories de faits a enregistré une hausse sensible, notamment les vols avec violences (+23,41 %), les cambriolages (+12,21 %), les vols à main armée (+8,71 %), les destructions et dégradations de biens publics (+14,08 %) et les coups et blessures volontaires (+9,47 %).
Concernant la répartition territoriale, des disparités importantes peuvent être mises en évidence. Près des trois quarts des faits sont enregistrés dans les zones de compétence de la police nationale (73,20 %), ce qui, compte tenu du mode de répartition entre police et gendarmerie (1), témoigne de la dimension encore fondamentalement urbaine de la délinquance. De même, certaines infractions demeurent, pour l’essentiel, l’apanage des zones de police nationale (ZPN), notamment les infractions à la police des étrangers (96,34 %), les autres vols avec violences sans arme à feu (93,30 %), les destructions et dégradations de biens (89,17 %) ; et, dans une moindre mesure, les vols (70,81 %), les atteintes contre les personnes (71,44 %) et les infractions à la législation des stupéfiants (73,32 %).
Aussi, les quatre régions les plus urbanisées (Île-de-France, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais) concentrent-elles plus de la moitié des faits de délinquance (54,14 %), notamment l’Île-de-France qui enregistre, à elle seule, le quart des infractions constatées au niveau national, avec en particulier, pour l’année 2001, une progression importante pour les Yvelines (+7,77 %), la Seine-et-Marne (+8,08 %) et les Hauts-de-Seine (+9,30 %).
Pour autant, l’un des principaux enseignements tirés de ces « comptes du crime », présentés publiquement le 28 janvier dernier par les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie, réside sans conteste dans la progression de la délinquance enregistrée dans les zones rurales et périurbaines placées sous la compétence de la gendarmerie (ZGN). En effet, cette dernière a constaté, l’an passé, 1 088 585 faits de délinquance, ce qui représente une hausse importante par rapport à 2000, soit +11,89 %, cette progression étant presque le double de celle enregistrée par la police nationale (+6,23 %), même si elle ne participe que dans une faible mesure à la variation globale intervenue en 2001. À l’instar de ce qui a pu être observé au niveau global, ce volume de délinquance demeure toutefois inférieur au niveau atteint en 1993 et 1994.
Même si la variation enregistrée l’an passé (+ 115 642 faits) n’a pas fondamentalement modifié la prépondérance des villes dans cette géographie criminelle, elle a donné lieu à des commentaires et à des prises de position relayés par les médias à propos d’une logique d’invasion des zones rurales par les faits de délinquance. Cette progression s’explique principalement (pour 83 %) par une hausse globale du nombre des vols (+ 96 384 faits).
Au total, la gendarmerie n’en conserve pas moins un taux d’élucidation nettement supérieur à celui de la police nationale (32,15 % pour la gendarmerie et 22,27 % pour la police), les gendarmes ayant procédé, en 2001, à 57 467 mesures de gardes à vue (ce qui représente, par rapport à 2000, une baisse de 10,41 % du nombre des gardes à vue supérieures à 24 heures). 240 665 personnes ont été mises en cause par la gendarmerie, parmi lesquelles 11 765 ont été écrouées, la part des mineurs s’établissant à hauteur de 19,58 % des personnes mises en cause (soit une hausse d’environ 2 % par rapport à 2000).
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
|
Faits constatés |
1 076 902 |
1 121 851 |
1 161 355 |
1 036 146 |
953 970 |
904 998 |
918 329 |
888 957 |
972 943 |
1 088 585 |
Variation |
-6,60 % |
+4,17 % |
+3,52 % |
-10,78 % |
-7,93 % |
-5,13 % |
+1,47 % |
-3,20 % |
+9,45 % |
+11,89 % |
Même si c’est devenu un lieu commun de contester la validité de ces statistiques, leur parution donne lieu invariablement à d’intenses débats sur la base d’une approche encore largement arithmétique et policière, et donc nécessairement partielle et tronquée de l’insécurité objective. Dans le rapport qu’ils ont réalisé à la demande du Premier ministre et remis justement quelques jours avant l’annonce de ces chiffres (2), Christophe Caresche (PS) et Robert Pandraud (RPR) ont ainsi reconnu qu’« il n’existe pas à l’heure actuelle en France une vision d’ensemble de la criminalité et de la délinquance produite à partir de données qui puissent être croisées et étudiées dans une optique scientifique, analytique et comparative », ce qui a conduit les deux parlementaires à préconiser la création d’un observatoire indépendant de la délinquance, susceptible, au niveau national, de produire des données intégrant l’ensemble des faits constatés (et pas seulement ceux qui le sont par la police et la gendarmerie), pouvant être mises en relation avec les statistiques produites par le ministère de la Justice dans le cadre des procédures pénales (et avec celles établies par l’Éducation nationale à propos des phénomènes de violences scolaires, par les sociétés de transport public, les bailleurs sociaux…) et ayant vocation à être complétées par les résultats d’enquêtes de « victimation » et de délinquance autorapportée. Sur le plan des chiffres de la délinquance, il s’agira notamment de comptabiliser les infractions constatées par la cinquantaine d’autres administrations dotées de pouvoirs de police (douanes, services de la répression des fraudes…), ainsi que celles intervenant dans le domaine de la circulation routière et les contraventions (notamment de cinquième classe). Dans le même temps, l’objectif sera de progresser dans la connaissance des faits de délinquance non rapportés aux services de police et de gendarmerie (par lassitude, découragement, peur des représailles, absence de prise en charge du dommage par l’assurance…), en recourant à des investigations sociologiques auprès des victimes de la délinquance. Au final, il est donc à penser que les données ainsi produites, tout en permettant un progrès considérable dans l’appréhension de l’insécurité, au moyen d’une pression efficace sur le « chiffre noir » de la délinquance, donneront lieu à la production d’indicateurs chiffrés sans commune mesure avec les statistiques policières établies depuis le début des années 70, qui sont, il est vrai, plus le reflet de l’activité des services de police et de gendarmerie que les « comptes d’apothicaire » d’une insécurité par trop complexe et hétérogène pour se laisser saisir par des chiffres, surtout si ces derniers sont orientés, incomplets, voire faussés.
Pour ce qui est de la gendarmerie, par-delà les éléments précédents qui incitent à la prudence la plus élémentaire quant à l’utilisation de ces statistiques et des variations qu’elles présentent d’une année sur l’autre, leur parution est de nature à alimenter l’atmosphère de morosité, de pessimisme à l’égard de l’évolution des conditions de travail du personnel révélée, au-delà des revendications d’ordre catégoriel, lors de la grogne des mois de novembre et décembre derniers. En effet, ces chiffres manifestement à la hausse viennent confirmer l’impression générale de dégradation du cadre de vie, de progrès de l’insécurité perceptible dans la plupart des zones périurbaines et rurales, qui s’explique moins par l’accroissement significatif de faits de violence et d’insécurité objective que par la multiplication de petits désordres et d’incivilités pas toujours recensés dans les statistiques officielles, mais favorisant à l’envi, dans un climat général dominé par l’individualisme et le recul des institutions traditionnelles de socialisation, la progression du sentiment d’insécurité.
Année 2000 |
Année 2001 |
Variation 2000/2001 |
|
Infractions économiques et financières |
113 836 |
114 716 |
+ 0,77 % |
Autres infractions (dont stupéfiants) |
146 647 |
157 630 |
+ 7,49 % |
Crimes et délits contre les personnes |
72 470 |
79 865 |
+ 10,20 % |
Vols (y compris recels) |
639 990 |
736 374 |
+ 15,06 % |
Total crimes et délits constatés |
972 943 |
1 088 585 |
+ 11,89 % |
(1) Cf. F. Dieu, « Sécurité publique : répartition des attributions entre police et gendarmerie », Défense Nationale, chronique « Gendarmerie », décembre 1996.
(2) Rapport de la mission parlementaire relative à la création d’un observatoire de la délinquance, janvier 2002.