Sécurité et défense en Europe - L'initiative sur les capacités de défense de l'Otan (DCI)
L’initiative sur les capacités de défense (Defense Capabilities Initiative, DCI) (1) a été approuvée par les chefs d’État et de gouvernement lors du sommet de l’Otan qui s’est tenu à Washington en avril 1999. Elle vise à lancer tous les travaux de transformation de l’Otan nécessités par l’adaptation de cet outil au nouveau concept stratégique, adopté lors du même sommet, et notamment à l’accomplissement de missions de gestion de crises à côté des missions traditionnelles de défense collective.
L’essence de la DCI
Cette initiative tend à améliorer les capacités de l’Otan pour tous les types de missions envisageables, y compris des opérations de gestion de crise effectuées en dehors du territoire de l’un de ses membres, en portant une attention particulière à l’intégration de forces provenant de « pays partenaires », ou même n’ayant aucun lien avec l’Otan.
L’amélioration des capacités concerne cinq domaines principaux : les C3 (consultation, commandement et contrôle) ; le déploiement et la mobilité des forces ; le soutien et la logistique ; l’efficacité de l’engagement des forces ; la capacité de survie des forces engagées associée aux questions d’infrastructure. Cependant une telle ambition ne saurait être menée efficacement si l’Otan n’améliorait pas aussi ce qui constitue des amplificateurs d’effort, à savoir l’interopérabilité (dans ses aspects tant humains que techniques) et les avancées technologiques.
Concrètement, la DCI se traduit par une liste de 58 actions que les comités et groupes de travail existants de l’Otan doivent traiter, y compris, pour les alliés concernés, en utilisant le processus de planification de défense. Certaines de ces actions avaient déjà été engagées avant le sommet de Washington, d’autres sont nouvelles ; leur réalisation est prévue dans le court ou le long terme.
Les 58 actions doivent aboutir à : des accélérations de mise en service d’équipement, des développements et des acquisitions d’équipement, des modifications d’accords internationaux ou de réglementations nationales, des études de faisabilité ou de besoin opérationnel, des modifications de processus dans l’Otan, des changements d’organisation.
La DCI ne cherche pas à remplacer les mécanismes existant dans l’Alliance, mais simplement à focaliser les travaux sur les points qui nécessitent un effort particulier.
Pour donner l’impulsion initiale à cette initiative, un groupe de pilotage de haut niveau (High Level Steering Group, HLSG) a été instauré, pour une durée de deux ans. Son rôle consiste à suivre, et si besoin coordonner, les activités des différents comités de l’Otan chargés, chacun pour ce qui le concerne, de la mise en œuvre de la DCI. Ce groupe travaille au profit du Conseil, et peut lui proposer toutes les recommandations qu’il juge utiles pour guider les organes permanents de l’Otan. Il aurait dû disparaître en avril 2001, mais il a obtenu un délai d’un an pour poursuivre ses travaux les plus critiques.
Par ailleurs, il faut tenir compte d’un aspect politique important : la DCI est un moyen qui permet d’associer la France à des travaux qui autrement auraient dû être traités à 18 dans le cadre du Defence Planning Process (DPP).
Les cinq domaines d’action de la DCI figurent dans le concept stratégique (§ 53.d) au titre des points indispensables à une meilleure efficacité de l’Otan, mais curieusement, les questions relatives à information superiority in military operations, intelligence and surveillance, n’y apparaissent pas.
Le contenu de la DCI figure dans la directive ministérielle 1998, approuvée fin 1998 par les 18 alliés participant au DPP, la DCI n’étant lancée que six mois plus tard, à 19.
Aujourd’hui, les Alliés pourraient parfaitement travailler à 18 pour définir des mesures antiterroristes : s’ils privilégient le cadre de la DCI, c’est bien pour s’assurer de la participation française.
Les différentes démarches
Pour l’Otan, qui doit faire face à un éventail de missions plus large du fait de la prise en compte des missions de réponse aux crises, la recherche d’une amélioration de son efficacité est un travail de longue haleine, mené par ailleurs en parallèle à la DCI, notamment avec : la révision de la structure de commandement, et de la structure de forces ; la réforme de la fonction normalisation dans le but d’améliorer l’efficacité de la standardisation au service de l’interopérabilité opérationnelle ; la révision du mode de fonctionnement de la structure des C3, pour se rapprocher des besoins des commandements stratégiques ; la réforme de la fonction armement, dont le but est de rendre l’ensemble de la structure armement plus réactive et mieux à même de prendre en compte les besoins exprimés par les autorités militaires.
La logique de l’Otan conduit à réaliser une telle amélioration dans le cadre des procédures existantes.
Les États-Unis ont promu la DCI, au titre de la nécessaire augmentation des capacités de l’Alliance. Ils affichent la préoccupation constante d’un meilleur partage du fardeau : leur lecture du Kosovo, qui impute les lacunes aux Européens, en regard de la contribution américaine, fondamentale dans certains domaines, conforte cette appréciation. De plus, on peut penser qu’implicitement, les États-Unis veulent amener les Alliés à partager leur vision des combats de l’avenir et les intégrer dans le processus de mise en œuvre de cette vision exprimée dans le document Joint Vision 2020 (2). Celle-ci, et en particulier son concept d’information dominance, impose des échanges d’informations en temps réel et entre tous les niveaux de commandement, supposant, une interopérabilité maximale. Par ailleurs, elle privilégie systématiquement l’utilisation des avancées technologiques disponibles.
Les Européens semblent vouloir privilégier le cadre de la DCI pour développer au sein de l’Otan les capacités européennes de défense nécessaires à la concrétisation de la politique européenne de sécurité et de Défense.
La position française
Pour la France, il n’est pas nécessaire de constituer des capacités militaires propres à l’Otan pour que cette dernière en bénéficie en cas de besoin. La réalité des engagements français aux côtés de l’Otan démontre la pertinence de cette position. C’est pourquoi la France a, dès le départ, privilégié l’interopérabilité qui doit être nécessaire et suffisante, ce qui impose de trouver, au cas par cas, un compromis entre l’expression des besoins, le partage éventuel de capacités, le souci de rationalisation, la préservation de notre autonomie stratégique.
Par ailleurs, la France, qui ne participe pas au DPP, ne conteste pas aux alliés la possibilité d’y recourir pour progresser dans la voie tracée par la DCI, mais elle affirme qu’il faut définir un processus plus général pour lui permettre de participer pleinement à la DCI sans s’engager dans le DPP.
De plus, la France a pour ambition de développer la défense européenne de façon pragmatique. Elle cherche donc à utiliser la DCI de façon opportuniste, et plus précisément elle compte privilégier les coopérations entre Européens dans la mesure où le sujet ne nécessite pas une coopération transatlantique (3).
L’état des travaux
À ce jour, de nombreuses actions sont achevées ou en voie de l’être, notamment celles traitant d’organisation et de procédures. Les difficultés concernent deux aspects : le développement de certaines capacités clairement définies, et l’harmonisation des domaines de planification au sein même de l’Otan. Par ailleurs, les attentats du 11 septembre 2001 sont pris en compte pour définir le domaine et les modalités de la lutte antiterroriste dans l’Otan.
Certaines capacités ne peuvent être constituées par les nations membres de l’Otan que si celles-ci ont la volonté de se doter des ressources adéquates et si les nations qui détiennent déjà ces capacités acceptent de partager la technologie correspondante. Dans la conjoncture actuelle, où la défense ne constitue pas la préoccupation essentielle de nos sociétés, il semble que ces lacunes ne seront pas comblées rapidement. Toutefois, l’Otan cherche à susciter des coopérations internationales sur des programmes d’armement.
Le processus de planification de défense de l’Otan est un processus global, qui traite de différents domaines concourant tous à la satisfaction du besoin militaire exprimé par les commandements stratégiques, ce besoin étant lui-même déduit des missions qui leur sont fixées par les autorités politiques. Or les comités travaillant dans chacun de ces domaines le font de façon trop cloisonnée, d’où l’idée de coordonner leurs travaux (harmonisation des disciplines de planification).
Enfin, les travaux conduits depuis peu concernant la lutte antiterroriste amènent l’Otan à élargir son champ d’action : les conséquences de la reconnaissance d’un cas de figure art. V du traité de Washington le 13 septembre 2001 et la prise en compte de la lutte antiterroriste risquent de donner à l’Otan des compétences de police qu’elle n’a pas encore.
8 février 2002
(1) www.nat.int/docu/handbook/2001/hb0205.htm
(2) www.dtic.mil/jv2020
(3) Pour des raisons technologiques, budgétaires ou autres.