Le rêve brisé - Histoire de l'échec du processus de paix au Proche-orient 1995-2002
M. Charles Enderlin est un journaliste bien connu, qui se situe parmi les meilleurs connaisseurs d’Israël et du conflit israélo-arabe. Il a écrit avec Le rêve brisé un livre d’enquêteur, circonstancié, précis, complet, qui devrait servir de référence à ceux qui s’intéressent aux péripéties angoissantes du processus de paix au Proche-Orient. Le texte est enrichi d’un index, d’une chronologie et de quatre cartes, qui tous sont fort utiles pour placer ou retrouver des repères sur un chemin constellé de fausses pistes et, hélas, encombré de ruines.
Cette autopsie est pratiquée avec une minutie extrême. L’enquête commence par un rappel dramatique de la catastrophe humaine et politique qu’a été le meurtre de Yitzhak Rabin. Elle se poursuit jusqu’à l’élection, le 6 février 2001, d’Ariel Sharon au poste de Premier ministre par 62 % des électeurs israéliens. Pour coller de plus près à la réalité sans la biaiser, le commentateur s’est constamment effacé devant le reporter. L’ouvrage y gagne en objectivité, au risque parfois de noyer le lecteur sous une pluie fine et ininterrompue de déclarations contradictoires, de soubresauts diplomatiques, de rencontres sans résultat, de démentis et de querelles intestines.
Le plus remarquable est la méthode de Charles Enderlin qui fait de son livre un document exceptionnel. On ne sait ce qu’il faut le plus saluer, de l’ampleur du carnet d’adresses du journaliste reçu par Yasser Arafat, Ehud Barak et Madeleine Albright, de la confiance qu’ont placée en l’homme des interlocuteurs qui se confessent devant lui, ou de la rigueur de l’observateur interrogeant avec le même souci d’impartialité Américains, Égyptiens, Israéliens et Palestiniens. À ces trois personnages, réunis en un seul auteur, il a fallu, au-delà des textes officiels, collecter les notes personnelles de quelques-uns des principaux intéressés et les confronter entre elles, faire témoigner devant une caméra des négociateurs ayant participé aux grandes discussions, s’entretenir avec les acteurs de premier plan de la vie politique au Proche-Orient.
Un tel travail d’investigation est récompensé par l’impression de vie palpitante que l’on retire d’une lecture qui, avec d’autres méthodes, eût paru desséchée. Certains dialogues sont reconstitués dans toute leur âpreté, les uns et les autres manifestent par des paroles ou de petits gestes leur énervement, leur agressivité, voire leur naïveté pour ne pas parler de duplicité. On se croirait autour du tapis vert, en compagnie de ceux qui, un temps, ont fait l’histoire.
Une fois de plus, on mesure l’abîme qui sépare les deux camps. Techniquement, des accords étaient à portée de main. D’Oslo en 1993 aux dernières négociations de 2001 à Tabac en Égypte, les points de vue s’étaient rapprochés de manière sensible sur des sujets essentiels. Les étapes franchies entre ces deux dates, malaisément sans doute, auraient pu être suivies par d’autres, certes aussi malaisément mais franchies tout de même. Peine perdue. Au fur et à mesure que le terrain politique se déblayait apparaissait le dur granit du statut des Lieux saints. De part et d’autre on se cramponnait alors sur des positions relatives à des points apparemment secondaires mais lourds de symboles. Les deux opinions publiques se crispaient. Une chance est passée, et il faudra du temps, beaucoup de temps, pour apurer enfin un dossier complexe que des analystes aussi scrupuleux que Charles Enderlin nous aident à mieux connaître. ♦