La première intervention militaire russe en Tchétchénie est une décision politique imposée par le pouvoir politique à l'état-major général. Elle prend les forces armées au dépourvu alors que les séquelles de l'éclatement de l'armée soviétique sont encore loin d'avoir disparues. En décembre 1994, c'est une armée totalement improvisée, sous-entraînée et mal commandée, qui s'attaque au bastion tchétchéne du général Doudaev. Le conflit tchétchène est un conflit complexe, qui mêle des opérations militaires classiques à des facteurs politiques, mafieux et religieux, et qui menace aujourd'hui directement l'équilibre géopolitique de tout le Sud-Caucase. C'est aussi, et peut-être surtout, un conflit emblématique pour les islamistes du monde entier.
L'armée russe à l'aune des campagnes tchétchènes
Alors que les combats font toujours rage en Tchétchénie, il nous a semblé intéressant de tenter de comprendre pourquoi les forces armées russes n’ont toujours pas réussi à venir à bout de quelques milliers de « rebelles » tchétchènes. Quelles sont les raisons des échecs de l’armée russe ou, du moins, de ses difficultés à détruire un adversaire moins bien armé et peu nombreux, alors même que l’opinion publique russe a toujours été plutôt favorable à la guerre ?
Les premiers problèmes qu’a dû résoudre le pouvoir russe, avant même que la première intervention dans la petite république sécessionniste ne soit lancée le 11 décembre 1994, sont d’ordre législatif. En effet, l’article 10 de la loi sur la Défense de 1992 précise que l’utilisation des « forces armées de la Fédération », pour remplir des missions étrangères à leur rôle de défense, n’est « possible que sur la base d’une loi ou d’un arrêté du Soviet suprême de la Fédération de Russie » (c’est-à-dire de la Douma en 1994). Après plusieurs tentatives de déstabilisation du régime de Djokhar Doudaev, le président Eltsine n’a donc pas d’autre solution que d’annuler par décret, le 24 décembre 1993, les dispositions législatives de l’article 10. Toutefois, ni la situation d’urgence ni l’état de guerre ne sont déclarés en Tchétchénie afin d’éviter une contestation trop forte d’un Parlement, qui va cependant jusqu’à saisir la Cour constitutionnelle. Celle-ci, en juillet 1995, alors que les combats font rage depuis déjà plusieurs mois, juge toutefois conformes à la Constitution les décrets présidentiels sur l’utilisation de la force armée (1). La première intervention en Tchétchénie a donc bien eu lieu en dehors du cadre de la loi.
Fin 1994, l’armée de terre russe, après le séisme de décembre 1991, n’est encore qu’un ramassis d’unités incomplètes et désorganisées, « des drapeaux sur des cartes » pour utiliser une expression employée par le général Gratchev, le ministre de la Défense de l’époque. Le nombre d’officiers dans ces unités est souvent supérieur à celui des soldats, car une large partie des cadres de l’armée soviétique était d’origine russe. Entreposés un peu au hasard, depuis leur rapatriement des républiques de CEI ou des pays de l’Est, dans des endroits où logistique et services techniques font presque toujours défaut, beaucoup de matériels sont hors service. Alors qu’ils s’apprêtent à se lancer dans l’aventure tchétchène, ni le pouvoir politique russe ni le ministre de la Défense lui-même, n’ont visiblement jugé bon de procéder à une analyse critique de l’état opérationnel de leurs forces armées.
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