L'honneur de la guerre
« Je n’étais pas un tendre ». L’aveu eût pu servir de titre à ces Mémoires, encore que les soldats de cette trempe, s’ils sont durs au combat, sont souvent les plus aimables compagnons. Déodat du Puy-Montbrun (1) a préféré placer son ouvrage sous le signe de l’honneur. C’est qu’il a de qui tenir. Issu d’une grande famille du Languedoc qui a beaucoup donné, élevé dans le souvenir de la Grande Guerre, sa vocation militaire est née « au milieu des morts, des veuves et des orphelins ». En 39, la guerre, à nouveau, est là. Renonçant à préparer Saint-Cyr, Puy-Montbrun s’engage, combat dans les corps francs durant la « drôle de guerre », passe à Saumur, revient au combat. Le 10 mai, il est en Belgique, éclaireur fonçant à moto d’une unité à l’autre et parfois chez l’ennemi, tombe, grièvement blessé, aux mains des Allemands, s’évade enfin. Premières réflexions sur ce premier et rude contact avec la guerre (« le soldat doit se battre, s’il pense, il est fichu ») et la débâcle (« plus d’êtres humains, des bêtes féroces »).
Deuxième acte, la Résistance, rendez-vous des patriotes : faire quelque chose, quoi ? On verra bien. Pour Puy-Montbrun, c’est le réseau du colonel Rémy. Le voici entré dans la guerre de l’ombre, et pour longtemps. Il y connaît les règles impitoyables qu’impose la sécurité d’un réseau : « Dans une situation exceptionnelle, les actes exceptionnels doivent être acceptés » ; ce triste devoir vaudra pour l’Algérie. La paix signée, il rejoint le 11e Choc et le service action, école universelle : « Nous savions tout faire. Tout ! ».
Troisième acte, l’Indochine. Aide de camp du général de Lattre, il profitera de sa position pour promouvoir les actions commandos, qu’il pratiquera avec passion sur les côtes d’Annam, dans le cadre du GCMA.
L’Algérie est le quatrième et dernier acte. Il occupe plus de la moitié du livre. C’est en effet l’odieuse campagne lancée il y a deux ans contre l’armée française qui a décidé Puy-Montbrun à écrire cette riposte vigoureuse et bien étayée. Dans le Constantinois, il est au Groupe d’hélicoptères n° 2, dont il dirige les opérations avant de le commander. En six ans, dit-il, alors que nous opérions au contact constant des unités amies et des rebelles, nous n’avons jamais entendu parler d’exactions commises par nos gens. Quant à celles du FLN, elles sont patentes et telles que ce grand combattant, qui sait de quoi il parle, n’en a jamais vu d’aussi cruelles.
Pourtant si, servant en Indochine, il avait bonne conscience, il n’était pas à l’aise en Algérie, mais pour des raisons politiques : « Nous n’avions pas pris le bon chemin ». L’espoir suscité par le retour du général de Gaulle se change en déception, puis en colère, d’où résultera le putsch d’avril 1961. C’est à Pau, à l’École des troupes aéroportées, que l’auteur a vécu ce drame. Drame pour tous, pour lui plus encore. Ce haut lieu du parachutisme militaire fut l’objet, en ces jours tragiques, de toutes les attentions, du commandement comme de quelques excités. Puy-Montbrun réussira à maintenir ceux-ci dans la légalité. Son malheur a voulu qu’il n’ait point toléré qu’on lui fasse la leçon et qu’il ait, affaire réglée, conservé son estime aux camarades fourvoyés. La carrière de ce grand soldat, héros discret six fois blessé, cité dix-neuf fois, aujourd’hui grand-croix de la Légion d’honneur, s’arrêtera là. De cette injustice Pierre Messmer, préfaçant le livre, est conscient.
1940-1962 : vingt-deux ans de combats, menés au plus près de l’ennemi et toujours dans l’honneur. Lisez, jeunes gens ! ♦
(1) Prévenons une confusion : rien à voir avec le Deodat fictif mis en scène dans trois de mes propres livres.