In memoriam - Le général Leclerc
Philippe de Hautecloque, qui devait se rendre célèbre sous le nom de « Leclerc », naquit le 22 novembre 1902 à Belloy-Saint-Léonard (Somme). Il était le fils d’Adrien de Hautecloque qui, engagé volontaire en 1914 comme soldat de 2e classe au 11e Cuirassiers, fit toute la campagne comme porte-étendard de ce régiment et la termina lieutenant avec la Légion d’honneur, plusieurs citations et une blessure. Deux de ses oncles, officiers d’active, furent tués pendant la Première Guerre mondiale à la tête de leurs unités.
Ainsi marqué pour la carrière militaire, le jeune de Hautecloque fit ses études au collège de la Providence à Amiens, puis vint préparer Saint-Cyr à l’École de la rue des Postes à Versailles. Reçu dans un très bon rang en 1922, il sortit de la « Spéciale » major des cavaliers, passa par Saumur, puis rallia, en occupation à Trèves, le 4e Cuirassiers. Mais bien vite, il se sent attiré par la vie active des territoires d’outre-mer, où les jeunes officiers peuvent encore former leur caractère et apprendre à se battre. Après avoir servi au 1er Chasseurs d’Afrique à Rabat, il commande un goum à Mzizelt et est rappelé à Meknès comme instructeur de l’École des officiers indigènes de Dar-Beïda.
Revenu en France en 1930 comme instructeur à Saumur, puis à Saint-Cyr, il supporte difficilement l’existence réglée du temps de paix. Aussi, il n’hésite pas, pendant la période des vacances annuelles, en 1933 puis en 1934, à partir à ses frais pour le Maroc, où il va se mettre, à titre personnel, à la disposition du général Giraud pour les opérations de pacification de Kerdous. Mis par le commandant en chef à la tête d’un groupe de partisans, il se couvre de gloire et revient en France avec la Croix et son troisième galon.
En 1938, il entre à l’École de Guerre, premier de sa promotion. À la déclaration de guerre, il est nommé chef du 3e bureau de la 4e Division légère (DL), avec laquelle il participe à la bataille de Belgique. Sa division est encerclée dans Lille et faite prisonnière. Hautecloque s’évade une première fois, traverse les lignes allemandes et rejoint les forces françaises vers Saint-Quentin. On l’affecte à la 3e Divion cuirassée (DC) avec laquelle il prend part aux combats de juin sur l’Aisne entre Rethel et Reims.
Mais une fois de plus, les Allemands percent en Champagne. C’est la retraite, au cours de laquelle il est blessé à la tête par un éclat de bombe d’avion. Évacué dans un hôpital auxiliaire au château d’Étaules près d’Avallon, il y est fait une deuxième fois prisonnier.
Une deuxième fois, cet homme indomptable s’évade. Il part à bicyclette, gagne Paris, puis le Boucau où il essaie vainement de s’embarquer pour l’Angleterre. Il regagne alors Toulouse et passe, le 13 juillet, en Espagne où les carabiniers l’arrêtent. Mais il leur échappe à nouveau dans Madrid, arrive au Portugal et de là s’embarque pour Londres où il rejoint, le 26 juillet, le général de Gaulle, est nommé commandant, et prend le nom de « Leclerc ». Six jours à peine après son arrivée, il est désigné pour aller prendre le commandement d’une unité de tirailleurs qui est passée au Gold Coast pour rallier la France libre. À son arrivée, il reçoit l’ordre d’organiser le ralliement du Cameroun. C’est alors l’aventure extraordinaire qui l’amène à Douala (26 août 1940), en barque, avec une poignée de compagnons, la veille du jour où le Cameroun se range du côté des Alliés.
Nommé colonel, Leclerc part au Tchad pour y organiser une force française destinée à attaquer les Italiens. Et ce sont bientôt les raids héroïques et couronnés de succès sur le Fezzan, d’abord en 1941 (prise de Koufra le 1er mars) (1), ensuite en 1942 (1er au 14 mars), enfin, à partir du 22 décembre 1942, la marche vers la Tripolitaine jalonnée par les victoires de Gatroun, Mourzouk (8 janvier 1943) et de Schuiref (10 janvier). Le 13 janvier, Leclerc prend liaison avec les Français de Delay à Djanet et à Ghat, avec les Anglais de Montgomery, le 25 janvier, à Tripoli.
Le 20 février, il est aux côtés de ce dernier à la bataille de Mareth et c’est ainsi qu’il entre en Tunisie, au milieu de l’enthousiasme des populations. Au Tchad, il avait fait à ses troupes le serment de ne pas s’arrêter avant d’avoir fait flotter le drapeau français sur la cathédrale de Strasbourg. Déjà la moitié du chemin était franchie !
Leclerc reçoit alors le commandement d’une des divisions blindées en formation, la 2e DB qu’il devait rendre célèbre. Il la forme d’abord au Maroc, près de Rabat, puis passe en Angleterre en avril 1944, car c’est la 2e DB qui aura l’honneur de représenter la France au sein de l’immense force d’invasion du continent. Tout le reste de l’épopée est trop connu pour qu’il soit nécessaire d’y insister : c’est la percée de Normandie, la délivrance de Paris, les combats de Lorraine, l’extraordinaire chevauchée sur Strasbourg – le serment est tenu –, la libération de Royan et enfin, dans une dernière et gigantesque charge, l’arrivée à Berchtesgaden, au nid d’aigle du Führer, le 6 mai 1945.
Après la capitulation de l’Allemagne, Leclerc sera chargé d’aller en Extrême-Orient représenter la France à la cérémonie de la capitulation japonaise. À la fin de 1945, c’est lui qui ira rétablir notre puissance en Indochine. Arrivé à Saïgon le 5 octobre 1945, il pacifie la Cochinchine, puis remonte au Tonkin et entre à Hanoï le 18 mars 1946.
Revenu en France, nommé général d’armée, il sera, le 25 décembre 1946, nommé inspecteur des forces terrestres, maritimes et aériennes en Afrique du Nord. Ce poste l’amènera à faire de nombreux voyages aériens. C’est au cours d’une inspection à Colomb-Béchar qu’il a trouvé la mort.
Le général Leclerc était père de six enfants. Ses deux aînés s’étaient, à l’âge de dix-sept et de dix-huit ans, engagés dans sa division à la libération.
C’est un des plus magnifiques héros de notre race qui vient de disparaître. Il laissera dans notre histoire militaire un souvenir comparable à ceux de Gaston de Foix, de Hoche, ou de Marceau.
Une pureté de cristal, une noblesse d’âme incomparable, une intelligence lumineuse au service d’une volonté inébranlable, un parfait équilibre entre la pensée et l’action, enfin une hardiesse dans la conception et dans l’exécution qui en font un des plus grands « cavaliers » de l’histoire : l’Armée française, et la France avec elle, a perdu un de ses meilleurs fils. ♦
(1) À la suite de ce magnifique succès, Leclerc est nommé général le 10 août 1941.