Marine nationale - La comptabilité analytique dans la Marine : l'exemple du service du commissariat
Le 14 février 2000, le ministre de la Défense décidait la constitution d’un groupe de projet, placé sous la responsabilité de la Direction des affaires financières (DAF) du ministère, chargé de conduire et de coordonner le développement des actions de comptabilité analytique des armées et des grands services du ministère de la Défense.
Le 1er août 2001 était votée la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un tel rapprochement ne doit pas surprendre. Le secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense, dans son allocution d’ouverture de la réunion d’information sur la LOLF, le 30 mai 2002, rappelait qu’« au cœur de cette réforme figure la spécialisation des crédits par programme, avec comme corollaire la responsabilisation des gestionnaires et le contrôle de l’efficacité de la dépense publique ». Au cours de cette même réunion, le directeur des affaires financières précisait que « le système de comptabilité analytique doit prendre en compte les orientations retenues pour mettre en œuvre la LOLF ». L’analyse des résultats obtenus en regard des moyens mobilisés passe naturellement, mais pas exclusivement, par une connaissance des coûts de nos missions. C’est un des objectifs de la comptabilité analytique d’exploitation.
Sirène
La Marine nationale, qui dispose d’un ensemble hétérogène de comptabilités analytiques développées par ses services, a répondu aux directives du ministre de la Défense en lançant le projet Sirène (Système d’Information fondé sur le Recueil et l’Exploitation aNalytique des coûts de la marinE).
La mise en place d’un tel système intégré de comptabilité analytique d’exploitation dans la Marine s’inscrit pleinement dans le prolongement du projet fédérateur de comptabilité de la DAF, mais également de la LOLF. Pour atteindre son but, la comptabilité analytique doit devenir un véritable instrument de prévision, de suivi et de contrôle, c’est-à-dire de pilotage. Cela correspond à la définition donnée par le plan comptable général de 1982, refondu en 1999, qui précise que la comptabilité analytique est « un mode de traitement des données dont les objectifs sont les suivants : connaître les coûts des différentes fonctions assurées dans l’entreprise ; établir des prévisions de charges et de produits courants ; en constater la réalisation et expliquer les écarts qui en résultent ; d’une manière générale, elle doit fournir tous les éléments de nature à éclairer les prises de décision… ».
La comptabilité de gestion remplace peu à peu la simple comptabilité analytique. Elle n’est plus seulement un outil comptable, mais devient une préoccupation de gestionnaire, de dirigeant. Elle participe au contrôle de gestion (1). Elle facilite l’analyse de la performance, de l’efficience. Elle est le corollaire de la responsabilisation des différents acteurs de toute structure car elle permet à ces derniers de rendre compte que les objectifs fixés par les dirigeants de la structure sont atteints. Il ne saurait y avoir de délégations de pouvoir ou de responsabilité sans moyen de contrôle de la performance. Nous sommes bien au cœur de la LOLF.
L’analyse des coûts, vocation première de la comptabilité analytique, n’a cependant pas attendu le XXIe siècle pour devenir une préoccupation des armées. C’est d’ailleurs à un officier que l’école française de comptabilité analytique et de contrôle de gestion doit une part de sa renommée, puisque les études menées entre les deux guerres par le lieutenant-colonel Émile Rimailho sont à l’origine de la célèbre méthode dite « des sections homogènes ». Plus proche de nous encore, les comptes organiques et les comptes de gestion partagent cette vocation dans les armées, et c’est aussi l’amélioration du système d’information qu’ils constituent que vise le projet fédérateur de la DAF. Les comptes de gestion restent un instrument précieux de pilotage des coûts. Ainsi, dans la Marine, ils ont permis aux services de maintenir leur niveau de prestations tout en baissant sensiblement leur coût d’intervention.
Pour la Marine, le projet Sirène devra aboutir, le 1er janvier 2005, à la mise en place de la comptabilité analytique. Pour cela, les services devront être capables de facturer leurs prestations aux forces dès le 1er janvier 2004.
Acacia
Le service du commissariat de la Marine a naturellement intégré ces deux objectifs dans son projet d’amélioration de la comptabilité analytique — Acacia (Application Comptable d’Agrégation des Coûts et Informations Analytiques). Il a débuté au mois de décembre 2001 ; son ambition est de doter l’ensemble des sites et services du commissariat de la Marine d’un modèle unique de calcul des coûts des prestations délivrées aux forces et aux formations, à terre ou embarquées.
La mise en place d’une comptabilité de gestion dans un organisme comme celui du commissariat implique le choix de la méthode. Les modèles de traitement des charges sont multiples et conduisent à autant de comptabilités analytiques différentes, de type de coûts, partiels ou complets.
Si la comptabilité analytique est née à la fin du XIXe siècle pour calculer les coûts de revient de production en retraitant les charges indirectes, elle a dû s’adapter à l’évolution de l’économie, de l’ère industrielle à la prédominance des activités de service. En effet, le volume de ces charges indirectes s’est considérablement accru, dépassant celui des charges directes. Il a donc fallu affiner leur analyse.
Dans le même temps, le poids des informations non financières s’est accru, les tableaux de bord devenant un outil majeur de pilotage non seulement dans le secteur privé, mais aussi au sein des administrations internationales et nationales. Ces évolutions ont conduit à une transformation récente de la comptabilité analytique passant par une remise en cause de la méthode de Rimailho au profit de la comptabilité par les activités dites « méthode ABC » (Activity Based Costing) (2). Dans cette méthode, les activités sont au cœur de l’analyse des coûts, et le traitement des charges indirectes se fait au moyen d’inducteur de coût, c’est-à-dire de clé de répartition en relation avec les activités et non plus avec le volume de charges directes. Ces activités concourent à la réalisation de prestations, de missions ou à la fabrication de produits selon des processus qui regroupent des activités ayant la même cause. Ainsi le but n’est plus seulement le calcul a posteriori d’un coût, mais la recherche de la cause de ce coût. La comptabilité de gestion par la méthode ABC devient un outil de management.
Le service du commissariat de la Marine a opté pour une comptabilité analytique utilisant cette méthode. En effet, il ne suffit pas de connaître le coût moyen des prestations ou des produits pour piloter la gestion. Il est bien plus pertinent d’évaluer le coût des activités, c’est-à-dire des tâches élémentaires qui contribuent à la réalisation de la prestation, car c’est bien sur celles-ci que l’on peut agir alors que les prestations relèvent de décisions externes, de la volonté et des attentes du « client », c’est-à-dire les forces, raison d’être du service du commissariat. Ce qui coûte n’est pas la prestation, mais les activités nécessaires à sa réalisation.
Le modèle de comptabilité retenu par le commissariat de la Marine, élaboré à l’aide d’un progiciel et qui intègre la notion d’activités, présentera trois intérêts majeurs :
– d’abord, il donnera la possibilité d’obtenir une information fiable concernant les coûts des activités et des prestations ;
– ensuite, il permettra d’homogénéiser et de clarifier la procédure d’élaboration du compte de gestion, qui sera automatisée grâce à l’utilisation du progiciel ;
– enfin, par la recherche de la cause des coûts, il sera un outil de responsabilisation et de pilotage qui prend en compte les orientations retenues dans la LOLF.
* * *
Pour toutes ces raisons, la mise en place d’une comptabilité analytique en méthode ABC améliore la qualité de la comptabilité de gestion du service du commissariat. Les comptes de gestion ne peuvent se limiter à un simple compte rendu annuel du coût de fonctionnement du service. Ils doivent en expliquer les causes. Grâce à une comptabilité de gestion reposant sur la méthode ABC, ils deviennent un outil permanent de pilotage et de recherche de la performance, c’est-à-dire de l’efficacité des décisions prises et des moyens consacrés à la réalisation des objectifs. Le gestionnaire agit non plus sur les coûts des prestations, mais sur celui des activités. Pour tirer le meilleur profit des ressources disponibles encore fallait-il disposer d’un instrument fiable de mesure et de comparaison dans le temps, mais également dans l’espace, c’est-à-dire entre des services dont les prestations sont identiques et qui sont situés dans des régions différentes. La comptabilité de gestion mise en place par le commissariat de la Marine répond à cet objectif d’efficience, préoccupation permanente de la Marine dans l’accomplissement de ses missions.
(1) Sur ce thème lire l’article d’Henri Bouquin : « 25 ans de comptabilité de gestion : réveil, révolution, amnésie » dans Divers auteurs, Paris Dauphine – 25 ans de sciences d’organisation ; Éditions Masson, 1995.
(2) Sur ce thème, lire l’article de Pierre Van Der Ghinst : « La méthode ABC ou le renouveau de la comptabilité analytique », Convergences n° 11, mars 1997.