La souveraineté de l'État subit une double mutation : sa population est appelée à se montrer de plus en plus exigeante à son égard ; quant à la communauté internationale, elle soumettra cet État à une surveillance de plus en plus étroite. D'où une dynamique très profonde de responsabilisation des États : le souverain doit rendre des comptes certes à son peuple, mais aussi à tous les autres. Sur une Terre de plus en plus petite et liée, l'État, chargé d'un territoire, d'une population, n'est plus une île, c'est un élément d'un ensemble. Le passage d'une responsabilité floue, sauvage à une responsabilité organisée, institutionnelle promet d'être particulièrement chaotique, l'enracinement de cette responsabilité étatique requérant des conditions économiques et politiques très précises : croissance économique suffisamment forte pour tirer la majorité des sociétés ; universalisation des États démocratiques, commerçants, convaincus de leur intérêt à préserver ; consécration du droit des individus à contester leur propre État... Ces perspectives sont utopiques, mais comment penser l'avenir sans s'interroger sur les rapports complexes entre souhaitable et possible ?
Politique et diplomatie - L'État responsable
L’affaire d’Irak, en 2002-2003, sera peut-être plus tard qualifiée par les historiens de première crise diplomatique de la mondialisation. Tout, dans cette crise, pousse à la « planétarisation » ; dans un langage moins pédant, tout élément local acquiert une dimension globale et, vice versa, tout fait mondial se réfracte dans une multitude d’enjeux locaux. Ainsi, la guerre d’Irak peut-elle être analysée aussi bien dans des termes classiques que dans une perspective mondialiste. D’un point de vue classique, cette guerre est bien un affrontement entre une très grande puissance, attentive à la stabilité de son aire impériale (le Proche-Orient relevant de cet espace) et un État récalcitrant, l’Irak de Saddam Hussein. D’un point de vue global, c’est un conflit autour des armes de destruction massive, les États-Unis agissant en policier (autoproclamé ?) de la planète ; l’Irak étant alors l’un des nombreux voyous, peu disposés à respecter des règles imposées, à leurs yeux, par les plus forts. De même, des États-Unis à l’Australie, du Proche-Orient à l’Europe, les opinions publiques se mobilisent tout autant pour des enjeux les concernant directement (par exemple, Australiens s’opposant à l’envoi de leurs propres soldats en Irak) que pour des principes (la paix, le droit), tous ces phénomènes s’accompagnant d’ambiguïtés et de malentendus.
Parmi toutes ces implications-interrogations de la crise irakienne, resurgit la question de l’État souverain. Sur une terre de plus en plus interdépendante et petite, cette entité centrale du système politique mondial demeure « souveraine ». Or la souveraineté, est-ce le droit de faire tout ce que l’on veut chez soi, sans avoir à rendre de comptes à l’extérieur ? L’intérêt étatique est-il, peut-il être l’intérêt suprême, rien ne pouvant s’imposer à lui, sauf si l’État consent à accepter des limites ? Au nom de sa sécurité, un État est-il libre de développer des armes redoutables et même de tricher, dans le cas où il lui serait interdit de produire de tels engins ? L’État n’est-il pas désormais responsable, non seulement devant sa population, mais aussi devant la communauté internationale ? « La souveraineté étatique, dans son sens le plus fondamental, est en pleine redéfinition — et pas seulement sous l’effet des forces de la globalisation et de la coopération internationale. Les États sont maintenant largement considérés comme des instruments au service de leur peuple, et non l’inverse. Au même moment, la souveraineté de l’individu […] est renforcée par une conscience renouvelée et en pleine diffusion des droits individuels […] Une nouvelle et plus large définition de l’intérêt national s’impose au XXIe siècle ; elle incitera les États à parvenir à une plus grande unité dans la poursuite d’objectifs communs et de valeurs partagées » (Kofi Annan, 1999).
Souveraineté et civilisation des États
La souveraineté étatique n’a jamais été le droit pour l’État de faire tout ce qu’il voulait chez lui. Cette souveraineté est une construction historique qui s’affirme dans l’Europe de la Renaissance puis celle des Lumières. Tant en France qu’en Angleterre, elle est guidée par un but précis : permettre à des princes chrétiens de s’émanciper politiquement d’une papauté qui est aussi spirituelle que temporelle. Être souverain, c’est être pleinement maître du champ politique.
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