Relations internationales contemporaines
Le manuel du professeur de droit public Jean-François Guilhaudis, professeur à l’université Pierre Mendès France de Grenoble, porte bien mal son nom. Cette somme passionnante pour tous ceux qui s’intéressent aux questions internationales correspond plus à une sorte de « traité » au sens conceptuel du terme. Il présente, en effet, tant par la quantité des informations qu’il contient que par la qualité de l’analyse, bien des caractères de ce type d’ouvrage.
Disons tout de suite que le style est direct et concis, la matière étudiée très dense et très complète. L’approche choisie par l’auteur est d’abord juridique, mais pas seulement : elle fait appel à d’autres disciplines que celle du droit des RI : la géopolitique et la géostratégie, la sociologie, l’économie, sans oublier ses aspects monétaires et financiers. La pluridisciplinarité sous-tend l’ensemble de la réflexion.
Le but, écrit-il dans son introduction, n’est pas d’ajouter aux autres une « nouvelle théorie des relations internationales, ni d’apporter sa voix à l’un ou à l’autre des principaux discours qui sont actuellement tenus ». Le lecteur pourra constater que l’auteur s’inspire tantôt du courant réaliste, de celui de l’interdépendance ou de la dépendance, qu’il ne renonce pas le cas échéant à l’analyse systémique ou à l’occasion de devenir un « adepte du quantitativisme ».
« Ouvrage d’initiation », formule indiscutablement trop modeste, Jean-François Guilhaudis entend donner une « image des RI proche de la réalité » et « rétablir la part du droit et des institutions » dans cette matière complexe. Objectif réussi après lecture du manuel. La problématique générale s’ordonne autour de l’« ordre » et du « désordre » dans le cadre d’une société internationale en voie de mondialisation ou de globalisation. Cette interrogation constante sur la quête d’un « meilleur ordre international » pour assurer la paix et la sécurité entre les acteurs du jeu mondial cadre parfaitement avec l’actualité la plus récente, notamment celle issue des bouleversements provoqués par le séisme politique des « trois années glorieuses » pour reprendre une formule de Jean Fourastié.
L’année 1989 d’abord, qui reste dans l’Histoire celle de la chute du mur de Berlin et de six dictatures communistes à l’Est de l’Europe ; l’année 1990, marquée par l’unification de l’Allemagne et la première guerre du Golfe ; l’année 1991, qui ferme la longue parenthèse de la guerre froide et conduit à la désintégration de l’Empire soviétique et à la fin du système bipolaire.
Sur le plan formel, l’auteur se contente d’une bibliographie en français, constituées d’ouvrages récents et indique les revues importantes et des sites Internet pertinents. Trois annexes (p. 805-816) complètent l’étude — l’une consacrée au conflit en Sierra Leone, l’autre à la guerre des pauvres en Érythrée-Éthiopie (1998-2000), la dernière au conflit du Cachemire entre deux puissances nucléaires — avec deux index. Comme on le voit, l’appareil documentaire et scientifique est irréprochable ; il est à la fois suffisant et pratique.
Du point de vue du fond, la structure du manuel comprend deux grandes parties : les acteurs et l’action, divisées respectivement en deux titres et trois titres.
La première partie est assez classique : elle passe en revue les acteurs du jeu international, acteurs étatiques et non étatiques. On notera des développements qui sont souvent absents dans les autres ouvrages : le phénomène de la puissance, la présentation des « grands acteurs des RI » au seuil du XXIe siècle, les associations et les groupements d’États avec une section substantielle sur le cas particulier de l’Union européenne, un « acteur différent » dans les relations internationales. Le Titre II traite des Organisations internationales intergouvernementales, des Organisations non gouvernementales (ONG), des sociétés multinationales et de l’individu ; mais la seconde partie — plus longue et beaucoup plus originale — mérite une plus grande attention intellectuelle.
Après les « auteurs », il était naturellement logique de se concentrer sur l’« action », la vie internationale, la diplomatie étant souvent comparée à un jeu.
D’où cette structuration fondée sur trois titres : la scène internationale, les relations pacifiques entre les acteurs et l’usage de la force et les conflits armés. Il n’est pas possible ici de se livrer à une analyse détaillée et de contenu de cette partie. On se bornera à mettre en relief les points les plus originaux.
Concernant la « scène internationale », signalons les chapitres 2 et 4 : l’un traite du « système international, de l’ordre international » ; l’autre s’intéresse à la « politique étrangère » (l’appareil de l’État, les objectifs, moyens et méthodes de la diplomatie, la prise de décision et les choix et types de politique étrangère). Les deux clarifient des notions connues mais souvent confuses ou ambiguës.
Le deuxième titre donne une vue d’ensemble des relations pacifiques entre les acteurs, c’est-à-dire en l’absence de conflit armé, lorsque la coopération se déroule normalement, ce qui n’exclut pas cependant une certaine dose de « violence et de contrainte » avec les phénomènes de la violence structurelle (Galtung), de l’hégémonie, de l’empire et de la « violence potentielle ». L’auteur n’oublie pas non plus de définir les concepts de guerre froide, coexistence pacifique, isolationnisme, État paria ou voyou, l’unilatéralisme si contesté aujourd’hui (cf. la crise irakienne et la diplomatie américaine de George W. Bush).
Le plus remarquable figure dans les chapitres 2 et 3. Il y a dans cet ouvrage une analyse très fouillée et minutieuse des relations commerciales internationales (l’aspect juridique, les régimes spécifiques, l’OMC, le commerce des produits de base et du pétrole… 52 pages au total) d’une part, et des relations monétaires et financières internationales centrées sur la difficile réforme du système du même nom d’autre part. Certes, ces passages sont un peu techniques, voire très pointus, mais ils ont le mérite de prendre en compte des aspects très mal connus du jeu international, ce qui évitera au lecteur de consulter d’autres livres spécialisés.
Le troisième titre — L’usage de la force et des conflits armés (plus de 150 pages) — est un petit chef-d’œuvre de synthèse sur la problématique du recours à la force et les conflits armés, internationaux ou non. Le professeur Guilhaudis est un expert connu dans ce domaine qu’il étudie depuis plusieurs décennies (voir l’annuaire Ares, ses articles et ses chroniques). Rien n’est oublié ici : les conceptions de la paix et de la sécurité, le défi du terrorisme et de la criminalité transnationale, l’électrochoc du 11 septembre et le traumatisme causé par ces attentats aux États-Unis, le défi de la guerre, les opérations onusiennes de maintien de la paix (OMP de seconde génération).
Enfin, on prendra connaissance avec curiosité et grand intérêt du défi de la course aux armements et du désarmement.
Approche en termes de Realpolitik et juridique de la diplomatie du désarmement et de la maîtrise des armements : tant de choses approximatives ont été écrites par de pseudo-experts sur ce sujet compliqué qu’il importe de remercier l’auteur pour sa perception des choses et sa vision du problème.
En résumé, nous ferons deux dernières remarques. La première est que cette mine d’informations permet de mieux comprendre les grands problèmes internationaux, à commencer par le phénomène de la mondialisation qui comporte elle-même plusieurs composantes. Le manuel met en pleine lumière la complexité du système international en mutation et la diversité de ses différents éléments.
La seconde observation va de soi : cet ouvrage servira à la fois de guide et de référence. Un guide pour s’initier à la discipline des RI ; une référence parce que l’étudiant, le journaliste, l’expert seront obligés de le consulter de temps à autre pour vérifier l’exactitude de telle ou telle donnée, de tel ou tel concept ou telle ou telle notion. N’est-ce pas la plus belle critique que l’on puisse faire à l’auteur ? ♦