Extraits du Livre blanc sur l’espace adopté à Bruxelles le 11 novembre 2003.
Livre blanc - Espace : une nouvelle frontière européenne pour une Union en expansion
Résumé
Sur la base de la consultation fructueuse à partir du Livre vert sur les activités européennes envisageables dans le secteur spatial, la Commission propose dans le présent Livre blanc la mise en œuvre d’une politique spatiale européenne élargie à l’appui de la réalisation des objectifs des politiques de l’Union européenne. Les aspects suivants sont à développer :
L’Europe a besoin d’une politique spatiale élargie axée sur la demande, permettant d’exploiter les bénéfices particuliers associés aux technologies spatiales à l’appui des politiques et objectifs de l’Union : croissance économique accélérée, création d’emplois et compétitivité industrielle, élargissement et cohésion, développement durable, sécurité et défense.
L’Agence spatiale européenne (ESA), les États membres de l’UE et de l’ESA avec leurs agences spatiales nationales et les centres de recherche nationaux, ainsi que l’industrie, doivent être salués pour avoir fait de l’Europe un acteur clé du secteur spatial. Le présent Livre blanc constitue un appel à l’action adressé à ces partenaires, y compris l’industrie spatiale, pour qu’ils se mobilisent en vue de nouveaux objectifs et relèvent de nouveaux défis.
La politique spatiale européenne sera mise en œuvre dans le cadre d’un programme spatial européen (PSE) pluriannuel, qui sera le mécanisme permettant de déterminer les priorités, de fixer les objectifs, de répartir les rôles et les responsabilités et de cadrer les budgets annuels. Son champ d’application doit englober la R&D, le développement d’infrastructures, les services et la technologie, et il convient de le réexaminer et de le mettre à jour régulièrement.
Cette politique requerra un accroissement des dépenses globales afin de développer et de déployer des applications, et de soutenir la recherche et le développement, les technologies et les infrastructures. Dans le contexte de ses futures perspectives financières, il convient que l’Union envisage d’accroître les ressources à allouer pour satisfaire les besoins des politiques de l’UE.
Si l’Europe n’adopte pas l’approche de la politique spatiale proposée, sa « puissance spatiale » diminuera en raison de son incapacité à développer de nouvelles technologies et à maintenir des applications, ce qui n’ira pas sans grave dommage pour sa compétitivité globale.
L’Europe possède déjà bon nombre des qualités nécessaires pour développer les services et applications qui faciliteront la mise en œuvre des politiques de l’UE. Elle a déployé des systèmes de communication opérationnels et des systèmes météorologiques, a adopté un ambitieux programme pour la navigation, la synchronisation et le positionnement par satellite (Galileo), et présentera en janvier 2004 son projet de mise en œuvre d’un système pour l’observation de la Terre et la surveillance globale (Global Monitoring for the Environment and Security : GMES). Outre la prise en charge de nombreuses politiques civiles, les systèmes spatiaux peuvent contribuer directement à la Politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) ainsi qu’à la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD).
La coopération internationale offre de bonnes possibilités de construire la puissance européenne dans les technologies et applications spatiales, dans le cadre de partenariats avec les États-Unis, la Russie et les nouvelles « nations spatiales ».
La mise en œuvre de la politique spatiale européenne se ferait en deux phases : la première (2004-2007) consistera en particulier à mettre sur pied les activités prévues dans l’accord-cadre récemment signé entre la Communauté européenne et l’ESA ; la seconde (à partir de 2007) démarrera après l’entrée en vigueur du traité constitutionnel européen, qui devrait faire de l’espace un domaine de compétence partagée entre l’Union et ses États membres.
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3.4. L’espace comme contribution à la Pesc et à la PESD, ainsi qu’à l’anticipation et à la surveillance des crises humanitaires.
L’espace présente une dimension sécuritaire et la sécurité une dimension spatiale.
Les technologies, les infrastructures et les services spatiaux représentent un appui essentiel à l’une des politiques de l’UE qui évolue le plus rapidement, à savoir la Politique étrangère et de sécurité commune (Pesc), qui inclue la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). La plupart des systèmes spatiaux peuvent par nature servir à de multiples usages, et la crédibilité des politiques susmentionnées sera sensiblement renforcée si l’on tire un meilleur parti des applications spatiales.
La PESD nécessite d’avoir accès à des systèmes et services spatiaux adéquats, tant en raison de leurs capacités stratégiques que du fait qu’ils apportent une capacité de décision autonome. Aujourd’hui, la plupart des informations utilisées au niveau de l’UE proviennent de satellites exploités dans des cadres nationaux, bilatéraux ou intergouvernementaux. Il est essentiel de garantir l’accès à long terme aux informations stratégiques pour leur utilisation collective par les États membres de l’UE, en promouvant les infrastructures spatiales.
Les capacités spatiales peuvent apporter un niveau élevé de sécurité aux citoyens, en particulier dans une Union élargie. Les fonctions de surveillance, notamment, permettent un meilleur contrôle des frontières et des côtes, et donc une meilleure répression de l’immigration clandestine et des trafics divers. Elles peuvent également améliorer la prévention des conflits par un suivi étroit des menaces potentielles et le repérage des crises humanitaires à un stade précoce.
Le comité militaire de l’Union européenne a clairement indiqué que les capacités spatiales pouvaient servir aux opérations de gestion des crises. Pour sa part, le comité « politique et sécurité » de l’UE a recommandé de poursuivre la réflexion sur les moyens d’assurer la prise en compte des aspects liés à la sécurité et à la défense dans l’élaboration de la politique spatiale de l’UE et des programmes qui s’y rattachent.
Il est clair que les utilisateurs des secteurs de la sécurité et des armées ont des besoins particuliers, et des protocoles devront être établis pour concilier les utilisations militaires et civiles des capacités spatiales. Il faudra par exemple tenir compte du fait que les militaires ont besoin de garder un contrôle exclusif de l’accès à certaines catégories d’informations, avec une capacité de réaction en temps réel.
Aucun État membre, seul, n’aura jamais les moyens de développer et d’exploiter la gamme complète des capacités nécessaires, et il serait plus rentable de mettre en place des coopérations sous diverses formes au niveau de l’UE. Il convient de développer des approches permettant un double usage des équipements spatiaux en fonction des besoins des utilisateurs définis au niveau européen. Outre les satellites de télécommunications et d’observation déjà utilisés actuellement à des fins de sécurité, il est nécessaire d’aller plus loin dans le domaine de la surveillance, du positionnement et de la navigation ainsi que de la synchronisation et des communications, du renseignement sur les transmissions, de l’alerte précoce et de la surveillance de l’espace, afin de réaliser les objectifs de l’UE et de ses États membres en matière de sécurité.
En ce qui concerne la surveillance à l’échelle du globe, il est prévu de satisfaire une large part des besoins en matière d’observation liés à la sécurité et à la défense par les services qui seront offerts dans le cadre de la GMES. Les bénéfices attendus sont le développement d’outils aux fins :
– du contrôle du respect des traités ;
– de la surveillance des frontières ;
– de la surveillance des sites et des installations critiques ;
– de l’anticipation et de la surveillance des crises humanitaires.
L’UE devrait mettre en place l’organisation nécessaire pour que les services GMES satisfassent les besoins collectifs de l’Union en matière d’imagerie et de cartographie aux fins de la sécurité, en tenant compte des structures existantes.
Globalement, la GMES pourrait contribuer à des missions humanitaires et de sauvetage, de maintien de la paix et de soutien de forces combattantes dans des missions de gestion de crises, notamment de pacification.
L’initiative militaire multinationale, « Exigences opérationnelles communes pour un système satellitaire mondial européen », à laquelle six pays de l’UE ont souscrit, décrit les spécifications opérationnelles communes nécessaires au développement d’un système militaire d’observation globale par satellite. Cet accord, qui doit être étendu aux autres États membres de l’UE, représente un instrument utile pour la définition d’une approche européenne des infrastructures au sol.
En ce qui concerne le renseignement sur les transmissions, l’alerte précoce et la surveillance spatiale, et afin de mettre en place à long terme une capacité spatiale complète de sécurité pour l’UE, l’Europe devra également développer des systèmes et des services dans les domaines suivants :
– renseignement sur les transmissions, afin de détecter les activités électromagnétiques ;
– détection précoce des activités menant à la prolifération de missiles ;
– surveillance de l’espace afin de doter l’UE d’une capacité autonome de détection et d’identification des objets présents dans l’espace.
Un effort particulier pourrait également être nécessaire pour assurer à l’Europe une capacité à fournir aux différentes catégories d’utilisateurs des informations critiques sur les éruptions solaires, les objets proches de la Terre, les débris spatiaux (prévisions de « météo spatiale »).
Il y a lieu de procéder encore à une évaluation approfondie des capacités et du rôle de la politique spatiale aux fins de la défense et de la sécurité. La Commission est prête pour sa part à contribuer à l’évaluation générale des capacités existantes et des besoins futurs, et à l’identification des investissements supplémentaires nécessaires en vue du développement d’une capacité spatiale complète de défense et de sécurité pour l’UE.
Actions recommandées
• La Commission et les États membres devraient établir pour fin 2004 — par l’intermédiaire d’un groupe de travail de l’UE composé des représentants de l’UE, des États membres, de l’ESA et des organisations spatiales regroupant les utilisateurs civils et militaires — un rapport concernant :
– les besoins actuels de l’UE en matière de capacités à usage multiple ;
– le lien avec l’Agence européenne de la recherche et des capacités en armement (en cours de définition) ;
– l’organisation de l’accès à l’imagerie, en tenant compte des travaux en cours dans le cadre du plan d’action sur une capacité européenne ;
– le rôle potentiel du centre satellitaire de l’UE et le rôle de l’ESA ;
• La Commission devrait veiller à ce que son action préparatoire sur la recherche en matière de sécurité soit lancée début 2004.
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Conclusions
L’espace est un champ d’action impératif de l’Union élargie, et l’UE est un acteur clé pour le développement futur du secteur spatial.
Avec la publication du présent Livre blanc, l’Europe s’engage sur la voie d’un redimensionnement de sa politique spatiale et du renforcement des politiques de l’UE, en suggérant de nouveaux objectifs ambitieux et porteurs, et en contribuant à ses initiatives de croissance.
Le programme spatial européen proposé sera l’une des pierres de touche de la mise en œuvre de nombreuses initiatives nouvelles, en particulier celles lancées en coopération entre l’UE et l’ESA, telle que la « surveillance globale pour l’environnement et la sécurité » (GMES) qui sera présentée plus en détail dans une communication ultérieure.
La réalisation des objectifs à long terme indiqués dans les pages précédentes dépend pour une large part de deux conditions essentielles : l’Europe devrait viser à accroître progressivement son budget spatial ; la conférence intergouvernementale devrait confirmer les résultats de la convention européenne et attribuer à l’Union, dans le futur traité constitutionnel, une compétence partagée sur les questions spatiales.
La croissance totale des dépenses dans le secteur spatial devrait être liée à une vision à long terme. Les bénéfices seront une plus grande efficacité des politiques et des possibilités, pour une industrie spatiale redynamisée, d’accroître la part de l’Europe sur des marchés en forte croissance dans les services spatiaux.
L’UE a besoin de davantage de responsabilité dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique spatiale pour tirer parti des technologies et des applications spatiales qui peuvent servir ses propres politiques. L’espace est transnational par nature, puisque les services et applications transmis sur Terre depuis l’espace peuvent franchir toutes les frontières géographiques sans aucune distinction. Placer au niveau européen une part d’autorité concernant les activités spatiales ferme le cercle de la gouvernance. Les questions (dans leur ensemble) soulevées dans le présent Livre blanc devraient maintenant être examinées et tranchées dans les institutions européennes compétentes.
Les gains potentiels sont réels pour les citoyens, pour l’Europe et pour le monde. L’espace n’est pas seulement une aventure, il est aussi une occasion économique. L’Europe ne peut se permettre de la manquer. ♦